Récit personnel d’un événement historique.
Par Claire Bennett
L’idolâtrie
C’est mercredi.
Il fait froid, mais la neige n’a pas encore commencé : les semaines troublantes entre l’automne et l’hiver. Le monde est tranquille d’une façon écœurante. Hier, tout le monde a déposé son pouvoir aux marches de la mairie et maintenant on attend, figé et épuisé. Les deux hommes ont fini de se disputer sur l’écran de la télé, puis nos parents ont rendu leurs bulletins de vote.
Nous sommes dans ma voiture dans le parking vide de notre lycée. Nous frissonnons même sous le chauffage, et nous jouons les chansons que nous aimons tous les deux. Dans d’autres circonstances, on paraîtrait heureux, mais cette semaine il n’y a pas de bonheur. En fait, nous disons à l’autre qu’il n’y a que de la peur.
Je veux conduire cinquante miles sous le ciel gris, acheter des burgers et les manger en pleurant, s’embrasser, lire encore et encore et encore la nouvelle, la spéculation, les espoirs et les cauchemars des adultes qui savent mieux que nous. Mais mercredi, sous le ciel bleu et blanc qui ne bouge pas, on ne fait rien. Tu bois le café noir glacé, et je fais pareil. Nous faisons toujours les mêmes choses, un phénomène que je trouve à la fois rassurant et inquiétant. Tu me dis : « Ça va aller », et je ne te crois pas, mais je dis quand même : « Ça va aller ».
Les nuages planent dans le ciel et les oiseaux sont endormis. C’est comme une photo, la rue vide devant notre lycée et le soleil caché derrière le gris épais. Je sais que le monde tourne autour du soleil, et il tourne lui-même, et le système solaire fonce aveuglément vers l’espace, mais nous sommes trop petits pour le sentir. Aujourd’hui, nous sommes même trop petits pour sentir le mouvement d’êtres humains autour de nous. Le monde est vide, et ma voiture roule à travers la ville immobile sans croiser personne.
Si c’est une vie tranquille, ou exaspérante, je ne sais pas.
C’est encore mercredi.
Nous sommes sur le canapé de la maison, plutôt la cabane, de ton père. Il travaille tard, comme d’habitude. Je m’aperçois quand tu me parles de la nouvelle et de la politique et ta peur que la vie reprendra comme d’habitude après la folie de cette semaine. Nos soucis seront inutiles et faibles, un sentiment qui deviendra normal quand nous serons plus âgés.
Nous regardons, aujourd’hui et hier et toute la semaine dernière, un homme à la télé que nous aimons également. Il semble intelligent, bien habillé, et il nous rassure. Il dit toujours la bonne chose. Sa spéculation est incertaine et dénuée de sens mais elle nous rassure quand même. Je me sens bête, apaisée par l’homme des informations, son visage déformé un peu par une déviation à l’écran. Tu m’as dit une fois que ton père a filé un coup de genou à l’écran, mais j’ai oublié, et maintenant je le regarde aveuglément. Je décide qu’il est toujours aussi moche. Je ne me souviens plus de son nom, alors il doit être l’homme laid de la télé.
Ton papa nous a laissé des légumes rôtis (froids) et du riz trop cuit (encore chaud), et nous les mangeons sans réchauffer dans le salon. Nous ne parlons ni sourions. Il neige pour la première fois. Je te dis : « Il neige. Très beau », et j’essaye de ne pas tomber endormie contre ton épaule lorsque tu me racontes ce que tu faisais avec tes parents dans la neige quand tu étais petit.
Je décide de passer la nuit, sans en avoir discuté avec toi, car je ne veux pas conduire les quatre minutes entières vers chez moi. En plus, tu es plus heureux quand je dors sur ton lit et quand tu dors sur le sol devant le radiateur. Tu m’assures : « Non, non, c’est assez agréable. Tu ne me déranges jamais. » Et je n’exprime pas mes soucis. Tu admires, tu me dis, les rainures du sol en bois, et tu aimes les traces qu’ils laissent dans ta peau.
Alors la nuit passe et l’aube arrive.
C’est jeudi.
Nous nous assoyons côte à côte sur le canapé. Je regarde l’homme, qui porte aujourd’hui un costume bleu, et tu regardes le sol. Il dit que le dépouillement a fini dans un petit état désert. Il ajoute trois voix à un graphique bleu et rouge sur l’écran. Ses mains bougent avec une fluidité captivante. Nous les suivons à travers la télé, une grande arche, et nous les regardons sur le bureau en verre devant lui.
Tu ne lis que les romans policiers, un trait que je trouve à la fois charmant et déroutant, mais maintenant tu me dis que tu n’aimes ni le suspense ni l’incertitude. Ton hypocrisie t’humanise, mais je ne dis rien.
Jeudi, on ne mange pas. Je regarde fixement le plafond, les poutres qui suggèrent une histoire plus ancienne de la maison que ta famille connaît. Tu me demandes si je suis toujours comme ça, et je te demande, en colère : « Comme ça ? Ça veut dire quoi ? » et tu me fais tes excuses, me soulageant. Je ne le dis pas, mais je suis en fait toujours comme ça. Je marche en rond autour ta table basse, mes mains dans les cheveux, réfléchissant, prenant le monde entre mes deux petites mains et l’écrase. Tu es au sous-sol sous ton haltère, et tu ne vois jamais ma grande folie. C’est mieux comme ça.
Dans les dernières heures du soir, on retourne à la télévision comme une cérémonie religieuse. Nous croyons que l’acte simple de regarder suffit à améliorer la situation. Avec nos yeux et nos mains froides mises sous les cuisses, nous faisons le dépouillement peu à peu. Tu ne crois pas en Dieu, mais tu crois en moi, et je te dirige vers l’idole qui porte un costume et se cache derrière le plastique.
C’est vendredi, et ton père travaille dans la grande ville. C’est décidé aujourd’hui, quand nous nous assoyons sur le canapé et faisons notre serment de ne pas manger jusqu’à l’apparition du bonhomme à la télé. Finalement, il disparaît de notre vie aussi vite qu’il y est entré. J’oublie immédiatement son nom, et on ne discute jamais de la politique. Nous trouvons d’autres obsessions, et je dors chez moi quelques fois par semaine. Tu as trouvé la musculation et j’ai trouvé la privation, et nous passerons le reste de l’année et la moitié de celle prochaine en apprenant et en désapprenant l’autre.
On utilise la télé pour regarder la téléréalité. On sourit, on rit, et tu me racontes pour la troisième fois l’histoire de la petite déviation au centre de l’écran.
_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
Écrire plusieurs versions de la même histoire : l’une de manière neutre, les autres sous la contrainte de votre choix.
Par Braeden Ingram
De manière neutre :
Au nord-est de Paris dans le 19ème arrondissement, il y a un parc qui s’appelle le parc des Buttes-Chaumont. Une création du Second Empire, le parc inclut un lac artificiel avec une île, beaucoup de chemins, de la belle flore, et plus célèbre le Temple de Sybille. Je l’ai visité il y a deux semaines, et pour l’occasion j’ai décidé de pique-niquer sur une colline avec une vue d’horizon de Paris. J’ai acheté des chips et du pain, et mes amis ont apporté du fromage, des dates, du salami, et bien sûr du vin. Ensuite, nous avons fait nos devoirs sur la colline avec un haut-parleur portable qui jouait de la musique. Après environ une heure, nous avons déjeuné. Il y avait un buffet de nourriture, et nous étions très satisfaits. Pendant le déjeuner nous discutions de notre séjour à Bordeaux et Paris, et comment la France nous a changé. Pour plusieurs d’entre nous, la vie en France est une arme à double-tranchant, avec des difficultés et des avantages. Après que le déjeuner était fini, nous continuons de faire nos devoirs et de parler ensemble. L’excursion s’est terminée à 16h00, nous avons décidé d’y revenir pour un autre piquenique un jour.
Une lettre :
Chers maman et papa,
Comment ça va ? Je viens de faire un pique-nique absolument fantastique dans un parc historique de Paris. Le parc s’appelle le parc des Buttes-Chaumont. Il y a un lac, une petite cascade, même un temple ! Au pique-nique, il y avait cinq amis et moi. Nous avons voulu faire des devoirs et nous reposer un peu avec un déjeuner, et le parc des Buttes-Chaumont est l’endroit idéal pour ces activités. Nous sommes restés sur une colline avec une vue magnifique ; tout Paris était dans notre viseur ! Le déjeuner était super. C’était un pique-nique plein de nourritures françaises comme le fromage camembert et les baguettes (c’est un cliché mais je m’en fiche). Pendant notre séjour, nous avons discuté de beaucoup de sujets : nos cours, des problèmes avec les photocopieurs français (ils sont vraiment impossibles à utiliser, surtout à Reid Hall), et le mal du pays. Franchement, malgré tout mon bonheur d’être ici, vous me manquez beaucoup, et d’une autre façon les États-Unis me manquent aussi. J’espère que vous allez bien, et que notre chat va bien aussi.
Je vous aime beaucoup,
Braeden Ingram
Théorique :
Dans un parc, dans une ville, dans un pays, sur un continent, sur une planète, il y a six personnes qui ont décidé de pique-niquer ensemble. Ils seront artistes, écrivains, scientifiques, et politiciens, mais pour l’instant ils sont seulement étudiants. Ils sont aussi rêveurs, voyageurs, intellectuels, musiciens ; membres d’un club de personnes qui ont des attentes élevées pour le monde. Mais à la base ils sont seulement humains comme tous les autres, et comme les autres ils ont faim quand le temps de déjeuner arrive. Donc sur cette planète, dans l’Europe, en France, à Paris, dans le parc des Buttes-Chaumont, ils décident de pique-niquer ensemble. Ce pique-nique est en partie une nécessité. Bien sûr, sans nourriture on meurt. Mais ce pique-nique est également une activité d’imitation. Ils regardaient la télévision ou ils lisaient dans des livres les histoires de Paris et de la France, et avec ces histoires le stéréotype du pique-nique français émergeait. Donc aujourd’hui, ils sont au parc pour recréer une image culturelle, pour devenir quelque chose qui leur est étranger. En France, seulement pour un instant, des Américains essayent de devenir français.
You must be logged in to post a comment.