Récit personnel d’un événement historique : le covid
J’avais entendu les rumeurs d’une maladie qui a commencé en Chine, mais pendant le déjeuner, c’était une pensée passagère. Les amis que j’avais connus depuis que j’avais 5 ans se sont disputés à cause d’un désaccord dans ma classe. Ils ont crié les uns les autres à travers la salle à manger et à la fin de la journée, tous sont partis énervés et prêts pour les vacances. C’était le dernier jour que nous étions tous ensemble. Ensuite, toutes les choses qui avaient été planifiées ont été annulées, mais pas de souci parce qu’il y avait encore deux semaines de vacances. Fantastique ! Dans ma famille, il y avait un sentiment d’incertitude. Ma mère était la plus nerveuse et elle a entendu qu’il y avait une pénurie de papier toilette. En portant nos masques faits à la main, mon père et moi avons cherché le papier toilette dans quatre marchés différents. C’était comme si les jours se mélangeaient, mais chaque jour j’ai voulu faire quelque chose et j’ai eu besoin d’être dehors. Donc, chaque jour j’ai couru dans la rue, mais à la fin toujours j’étais rentrée chez moi.
Finalement, après quelques cours asynchrones, le lycée virtuel a commencé.
J’avais l’impression de ne rien apprendre chaque jour. Entre les cours virtuels, nous avons organisé les fêtes sur Zoom, comme toutes les autres choses sur l’ordinateur. C’était amusant, puis la date pour Le Prom est passée. C’était ma dernière chance d’y aller. Ensuite, les anniversaires de mes amis passent, le choix des facs, toutes les dernières chances d’être ensemble avant que la fac ne commence. Mais, à un moment sur Zoom il était annoncé que nous aurions une cérémonie de remise de diplôme en voitures ! C’était un rêve pour l’époque de Covid. En une heure, tout était fini. Le temps que j’ai passé avec mes amis, le lycée, les profs, tout. Ensuite, je commencerais une autre partie de ma vie, mais sans connaître le futur du monde.
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Au début il n’y a que les vielles tantes qui portent le masque. Quand nous les croisons dans la rue, Leena fait semblant de tousser fort et leur faire peur, je dis Tu peux pas faire ça ! mais je rigole à chaque fois. Notre metteur en scène pour la grande pièce du semestre est allé à Shanghai pour une conférence, et quand il rentre à Singapour il est obligé de faire une quarantaine. M. Schulz a probablement rattrapé le Wuhan ! C’est comme ça qu’on appelle le virus. Notre metteur en scène, c’est le Wuhan lui-même ! dit-on en riant. Tout le monde en fait des blagues, c’est une nouvelle si étrange qu’il ne nous arrive même pas à l’esprit d’avoir peur, au début, au début.
Jennifer, aussi, était allée à Shanghai, elle y avait passé les vacances d’hiver avec sa grand-mère. C’était silencieux dehors, nulle part je n’ai vu personne, elle me dit dans un texto, parce que ses parents lui interdisent de venir à l’école. Quelque chose me dit de ne pas lui répéter mes autres plaisanteries.
Il y a un nouveau logiciel qui s’appelle Zoom. C’est Zoom qui a créé ce virus, ils veulent devenir riches en nous forçant à tout faire en ligne ! Chaque jour dans la bibliothèque avant les cours, on dit, Eh bien, c’est notre dernier jour d’école, profitons-en ! Viens, Evelyn, fais-moi un câlin, je te reverrai peut-être jamais !
Notre professeur de maths nous dit qu’on peut se plaindre, mais un garçon en Chine, paralysé depuis sa naissance, serait mort de faim après que son père est mort de COVID – c’est comme ça qu’on l’appelle maintenant et ce n’est pas drôle – on n’aurait pas pu venir pour lui donner à manger. La mort règne là-bas et maintenant on sait qu’elle vient, vite, des ailes noires. Nous regardons tous la table, n’ayant rien à dire.
Un matin Regina apporte son caméra et nous dit, Montre-moi une tête super triste pour que j’en garde le souvenir. Il s’avère qu’on est, en fait, au dernier jour d’école. Le gouvernement singapourien nous met tous en quarantaine. On ne pourra pas recevoir nos diplômes, je plaisante. Ce n’est pas un succès, on est en train de faire semblant d’être sur le point de pleurer pour la photo de Regina.
Soudain dans ma chambre, il n’y a plus ce feu roulant d’esprit ; il faut que je crée du bruit. J’écoute de la musique douce toute la journée, j’appelle Leena sur FaceTime et on y reste même sans parler, juste pour entendre les sons de l’autre qui bouge. À un moment je lui demande, Ça va ? et pour la première fois je la vois fondre en larmes. Essayant de mettre en pause ma musique, je raccroche et je la laisse seule, je la rappelle mais c’est trop tard, elle s’est remise un peu et elle sourit. Tu m’as abandonnée ! dit-elle, et on ne peut qu’en rire.
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Je me souviens des “memes” du fin de monde “World War 3 et la nouvelle épidémie de Chine” qui sortaient les premières journées de l’année 2020. Je pensais que, comme toutes les autres mauvaises nouvelles de ma vie, ces mauvaises nouvelles ne m’affecteraient pas trop. Heureusement que la crainte de WWIII a rapidement baissé dans ces premières semaines, cependant le coronavirus a continué. Je me souviens de mon père qui parlait avec la famille de ma mère, disant que les experts pensaient que cela serait vraiment une catastrophe mondiale et qu’il fallait vraiment le prendre au sérieux. Alors ma famille était une des familles qui avaient peur très tôt du virus. Alors on a acheté nos provisions avant que les gens aient vidé les magasins de papier toilette. Février est arrivé et les cas en Italie commençaient à sortir. Il n’y avait toujours pas beaucoup de cas aux États Unis, quelques-uns à Seattle. Début mars, les cas de covid étaient dans mon état. Il y avait une école à Rhode Island qui avait une excursion en Italie. Les étudiants ont attrapé le covid et sont rentrés. Mon école jouait au hockey avec eux, dans la même équipe. Ils ont arrêté, bien sûr. Mais on évitait les pauvres gens dans l’équipe. Je ne pouvais pas tomber malade. Nous avions des plans pour les vacances d’été avec mes grands-parents, mais il paraissait que le covid était pire pour les personnes plus âgées ? On n’en savait pas beaucoup, mais ils nous ont dit que c’était vrai. Ils nous ont aussi dit de ne pas porter de masques car ça ne changerait rien et car il fallait les laisser aux docteurs. Mais si les docteurs en avaient besoin, n’était-ce pas utile ?
J’ai manqué une journée d’école le jeudi car on ne voulait pas attraper le covid avant d’aller dans l’avion. On pensait toujours qu’on allait voyager. Comme je n’étais pas là le jeudi, j’ai remarqué qu’il y avait une ambiance fortement changée. Mercredi tout le monde était normal, content, n’avait pas peur. Le covid était toujours loin, tout allait bien. Jeudi soir nous avons décidé de ne pas aller en vacances, alors je suis retournée à l’école. Le vendredi, l’atmosphère était étouffante et effrayée. Puis nous, les terminales, nous sommes partis en vacances de printemps, avec aucune idée que nous ne reviendrions jamais à notre lycée.
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