Atelier d’écriture créative 3 – Trajet ordinaire

Raconter un trajet ordinaire que vous connaissez bien. Pour aller au lycée, à l’université, chez un ami, un parent, etc. Soyez le plus précis possible, à chaque étape de ce trajet.

  • Par Naya Jorgensen

Bien sûr que je me souviens du trajet. Je l’ai fait presque chaque jour. De mon appartement à celui de Leena, il ne me fallait que cinq minutes, peut-être encore moins – j’ai toujours été en retard. Apparemment on passe un tiers de la vie à attendre, a-t-elle dit une fois. Mais à cause de toi, pour moi, c’est la moitié !
Je descends du quatrième étage, puis je tourne à droite. Non – cinquième étage, j’habitais au cinquième. Je sais parce que je me souviens de mon adresse, #05-01, 80 Grange Road, comment pourrais-je oublier une telle chose ? Ça ne fait pas aussi longtemps que ça. Trois ans, ce n’est pas trop longtemps.
Alors je descends du cinquième étage et je tourne à droite. Déjà l’humidité lèche la raie de mes cheveux, laissant une rayure de sueur. Je n’aurais jamais cru que ça me manquerait ; j’avais l’impression de sentir physiquement la terre se réchauffer. J’ai toujours froid, d’ailleurs, sauf en été quand l’air sec du reste du monde me donne soif.
Je m’en écarte. Je marche tout droit vers la copropriété de Leena. C’est bizarre, on se connaît depuis le collège, quand on était toutes les deux en cours d’anglais avec – qui ? Ms. McDowell ou Mr. Smith ou les deux, c’était bien le seventh grade ? – je sais, je sais que je sais, c’est ma meilleure amie et mon enfance, après tout, et ce n’était qu’il y a quelques années. Les choses comme ça ne s’efface pas. Oui, on se connaît depuis longtemps, mais on devient amies quand je déménage à Grange Road. Mon appartement est petit et le sol est en faux marbre. Faux marbre rouge, je crois, c’est difficile à m’imaginer. C’était moche et je croyais que j’y serais malheureuse.
En route je passe devant la copropriété entre la mienne et celle de Leena : là où habite Kavin, qui nous présente l’une à l’autre dans le bus du matin. Au début on échange ; aujourd’hui ils s’asseyent ensemble, moi derrière, un jour c’est moi et Kavin, un jour c’est moi et Leena. Bientôt c’est toujours moi et Leena. Chaque matin, pas encore sept heures, et je ne sais plus quel était le numéro du bus. À l’époque j’aurais tué pour ne pas avoir à me réveiller à six heures. Maintenant je me rappelle qu’on était si fatiguées, Leena et moi, qu’elle dormait sur mon épaule lorsqu’on s’approchait de l’école et le soleil se réveillait, et j’ai appuyé ma tête sur la sienne. C’est vrai, à l’époque je me croyais malheureuse en effet, ça je m’en souviens. Mais je ne suis plus sûre pourquoi.
C’est si rapide, j’arrive devant la collection d’immeubles bleus et blancs et gris, tout en verre et brillants. Je me souviens qu’une fois il y avait un serpent dans la piscine. Je me souviens qu’on se disait toujours au revoir chez elle, je l’ai raccompagnée à chaque fois même si chez elle était plus loin des grands boulevards. En fait on se disait jamais au revoir ; on se disait à demain. Je me souviens d’être devant son bâtiment la nuit avant mon départ de Singapour, dans ses bras. Auparavant j’avais tellement voulu quitter cette période de ma vie et elle le savait, elle a dit Tu seras enfin indépendante et j’ai dit Je ne veux pas être seule. Mais je ne souviens pas de ce qu’on a dit après, et je ne me souviens pas de la rentrée, ce dernier trajet simple entre elle et moi.


***

  • Par Kellan Walker

Je ferme la porte avec précaution pour qu’elle ne grince pas. Je ne veux pas réveiller mes parents et ma sœur. Le bruit de la clé dans le verrou est bruyant, mais je m’échappe sans problème. Dehors, le ciel est d’un violet foncé. Le monde est tranquille, même les oiseaux ne chantent pas. Il fait juste un peu froid, et je vois que j’expire de la vapeur. En marchant à ma voiture, je fouille dans mes poches pour vérifier que je n’ai rien oublié. J’ouvre mon coffre et mets ma boîte à lunch à côté de mes cannes à pêche et provisions. Encore une fois j’essaie d’être extrêmement silencieux en entrant dans la voiture. C’est vraiment stressant de se faufiler comme ça ! Je pousse un soupir de soulagement et appelle Alex. Je dois toujours vérifier qu’il ne dort pas. Nous confirmons l’endroit de la réunion et puis nous raccrochons. J’allume la musique et commence le trajet. Je fredonne la chanson de Tyler Childers et pianote sur le volant. Il n’y a personne dans la rue. Les phares illuminent le chemin sombre, et j’aperçois la lune. Après deux ou trois chansons j’arrête la radio. Je veux me concentrer parce que je dois conduire plus lentement. Je passe devant les vieilles maisons délabrées. Le village est petit, mais beau à sa façon. Quand ma voiture atteint la colline, je peux voir une vue incroyable. La Susquehanna puissante coule au sud, et Harrisburg se trouve à travers elle. Le fleuve fait plus d’un kilomètre de large, avec des douzaines d’îles parsemées. Je tourne à droite, dans le parking de gravier. Je suis seul jusqu’à ce qu’Alex arrive. Nous nous disons bonjour et nous nous préparons pour la journée. Nous prenons les cannes à pêche et les boîtes à lunch, et puis nous nous installons où le ruisseau, le Conodoguinet, se jette dans la Susquehanna.