À Vassar je fais un double cursus en philosophie et français et j’ai depuis mon enfance une passion pour les arts plastiques. Je suis donc tellement contente de m’être inscrite dans un programme de cours avec VWPP qui inclue un cours d’histoire de l’art contemporain (les néo-avant-gardes) et un cours de philosophie de l’art (esthétique analytique) à la Sorbonne, ce qui me permet d’étudier plusieurs sujets auxquels je m’intéresse. Complètement par hasard le cours de la philo de l’art fais souvent référence aux artistes qu’on étudie dans le cours de l’histoire de l’art, puisque les artistes modernes et contemporains qui ont délibérément contesté les définitions et les frontières de « l’art » sont ceux qui pousse la philo à trouver des nouveaux moyens de la théoriser. La philo de l’art analytique (contrairement à la philo de l’art continental) s’occupe plutôt du meta-ésthetique et du rôle des théories de l’art dans la critique et dans les lois, ce qui porte des conséquences importantes pour les études des néo-avant-gardes, des minimalistes, des post-minimalistes, etc., surtout concernant la vente et l’exposition des objets d’art (comme les Ready-Mades de Duchamp ou le Brillo Box de Warhol).
Naturellement c’est fascinant d’aller aux expos et musées dans ce contexte—de voir en réel les œuvres que j’étudie dans plusieurs cours, qui sont souvent des installations. À Beaubourg (le Centre Pompidou) il y a une collection incroyable de l’art moderne et contemporain, où j’ai vu des œuvres avant-gardes, néo-avant-gardes, optico-cinétiques, minimalistes, et post-minimalistes, y compris des artistes comme Donald Judd, Tinguely, Jesus Raphael Soto, Joël Stein, Barnett Newman, et Basquiat. Il est nécessaire de voir ces œuvres en vrai, d’une part parce qu’on aperçoit beaucoup mieux les couleurs et les textures en vrai que sur un écran ou dans une reproduction, et d’autre part parce que plusieurs artistes jouaient sur les interactions entre le spectateur et l’œuvre. Par exemple, l’art optico-cinétique joue énormément sur le mécanisme biologique de l’œil humain et des effets qui se produisent quand le spectateur bouge devant l’œuvre, ou quand l’œuvre bouge dans une manière qui crée des illusions, un peu inspiré par le mécanisme du kinétoscope et du cinématographe qui font l’illusion de motion à travers de l’effet phi. Même Donald Judd, dont les œuvres sont industriels, fixes, et minimalistes, impliquait l’espace de l’exposition : les instructions d’installation pour son série Stack (dont celui de 1972 est installée au Beaubourg) était fait exprès pour rendre l’œuvre plutôt un objet ordinaire occupant le même espace du spectateur qu’un « objet d’art » éloigné du spectateur, perché sur son piédestal ou accroché au mur.
Tandis que ces cours et mes visites au musées m’ont permis de beaucoup plus apprécier l’art moderne et contemporain, cela ne veut pas dire que j’ai cessé d’aimer l’art plus ancien. Quand j’avais quatorze ans j’ai eu l’opportunité d’étudier les arts plastiques avec un program à CalArts qui s’appelle CSSSA. Là j’avais un professeur de peinture qui adorait Cézanne, et qui nous a parlé de la manière dont sa déconstruction de forme avait inspiré le cubisme. Alors je suis allée tout au débout du semestre à l’exposition des portraits de Cézanne au Musée d’Orsay, où j’étais si inspirée qu’ensuite j’ai acheté trois couleurs de peinture, deux pinceaux, quelques toiles, une palette, et un petit chevalet. J’avais laissé presque tous mes matériels d’art chez mes parents aux États-Unis, puisque j’ai pensé qu’il valait mieux de passer mon temps dans la ville de Paris et non pas dans ma chambre avec mes toiles, mais je me suis rendu compte après avoir vu cet expo de Cézanne que pour ceux qui ont vraiment besoin de créer de l’art, c’est tout à fait impossible de s’en arrêter. Heureusement, ma famille d’accueil m’a permis d’installer un petit atelier dans ma chambre (merci Catherine et Thierry, vous êtes incroyables ! ) et que le programme me permettait d’acheter des matériels avec ma bourse !
Depuis le collège, je faisais toujours de la peinture à l’acrylique, aux aquarelles, ou à l’encre—jamais à l’huile. Puisque ce moment-là me représentait un opportunité de faire quelque chose de nouveau, j’ai décidé d’acheter de la peinture à l’huile, et franchement j’en suis tombée amoureuse. Je continuais de visiter les musées, prenant comme inspiration les idées et techniques des impressionnistes, postimpressionistes, cubistes, expressionnistes abstraits, et des mouvements que j’étudie dans mes cours. Un jour, après avoir vu un vendeur d’art dans la rue, je me suis rendu compte que ça serait impossible d’apporter tous mes tableaux aux États-Unis, et j’ai donc fais des recherches concernant la vente des tableaux dans la rue. Évidemment il faut un permis, et puisque je n’ai pas un budget pour un permis et je suis paresseuse, il m’est arrivé de vouloir installer mes tableaux dans la rue, non pas pour les vendre mais comme installation publique de l’art.
Avec cet « opportunité » de communiquer avec un public plus large que ma famille d’accueil j’ai commencé de penser des sujets qui me frappe comme important. Je suis tombée tout de suite sur le sujet d’identité, qui est très pertinent pour moi, puisque je suis franco-américaine et je sentais depuis mon arrivée qu’il y avait plusieurs aspects de la culture Parisienne qui m’empêchait de me sentir vraiment « Française, » surtout la conception de genre. À Vassar, je n’y avait pas beaucoup pensé, par rapport à mon propre identité—on a un culture (comparativement) tolérant, où presque tout le monde fait attention aux pronoms, et où on est bien conscient des identités différents et de la simple possibilité d’exister sans se conformer à la conception binaire du genre. Pour commencer, la langue française est, évidemment, genré, ce qui veut dire non seulement qu’on n’a pas de pronom singulier neutre, mais aussi que tous les adjectifs et verbes doivent s’accorder avec le genre du sujet, qui rend l’existence linguistique de genre neutre tout à fait impossible. De plus, il est enraciné dans la culture de politesse d’adresser les gens qui entrent dans les magasins avec un titre genré—e.g. « bonjour madame/monsieur. » En France, j’ai un baromètre quotidien sur ma performance de genre, alors qu’à Vassar on commence par me demander mes pronoms préférés.
Donc, tandis que je m’identifie d’habitude par mes travaux artistiques et intellectuels que par mon genre, j’étais forcé de considérer mon identité comme femme qui se présent d’une manière assez androgyne. À part des problèmes qui m’ont arrivé en étant de genre visuellement ambigu, je me suis aussi trouvé face aux conceptions stricte des femmes, en apparence et rôle sociale. Sur le surface, ceux sont assez similaires au ceux aux États-Unis, bien qu’aux États-Unis on en parle, et ici presque pas du tout. Cela ne veut pas dire qu’il n’y existe pas du sexisme, ou de la violence contre les femmes—seulement qu’on l’accepte plus facilement, et on n’éprouve pas de la rage publique que produisent les exposés des hommes célèbres qui sont accusés de la violence contre les femmes, des cas de la viole dans les universités, etc.
Tout ça me troublait, et je me suis donc mis à organiser et théoriser mon « exposition » afin de trouver un équilibre entre les idées artistiques qui m’avaient inspiré et les problèmes sociopolitiques dont lesquels j’éprouvais. C’était un grand travail de rédaction : il y a plein d’issues sociopolitiques qui me troublant en France (pareil aux États-Unis, mais dans les cadres différents), comme l’immigration et l’attitude vers les immigrés et les réfugiés, le racisme (on utilise même pas le mot « race » en France, et beaucoup de gens suppose que les gens qui ne sont pas blanc ne peut pas être les français nés en France), les écarts socio-économiques entre les quartiers de Paris lui-même, entre Paris et les banlieues, et entre les villes de France et la compagne. Mais j’ai décidé (après avoir consulté des amis et des mentors en France et à Vassar) de me concentrer sur ma propre expérience, pour ne pas
étouffer les gens qui vivent ces expériences, ou d’impliquer qu’ils ne sont pas assez forts pour en parler eux-mêmes, et de l’autre pour rester si exacte que possible dans mes représentations créatives.
Enfin, la description du projet était :
3x3x3 est un projet d’art public basé conceptuellement sur la subversion du cube minimaliste, s’appuyant sur les ironies riches qui se produisent quand les nouveaux artistes font référence aux anciens et les contredisent. Le projet consiste en trois installations de neuf tableaux pour chacune d’elle. Les panneaux sont installés dans les espaces publiques en faisant référence à l’idée post-minimaliste que l’art existe dans le même espace que le spectateur, et que l’art est activé par l’interaction avec l’espace dans lequel il est exposé (« site-specificity »). Je crois que l’art est toujours créé face à son époque, enraciné dans le contexte sociopolitique, et donc j’intègre du contenu expressif ou figuratif, ce qui conteste le mantra minimaliste « what you see is what you see. »
J’ai installé la première partie le 27 octobre (3x3x3=27) dans neuf endroits différents sur Paris, pour la plupart près des musées où j’avais vu des tableaux qui m’ont inspiré. Pour chacun j’ai conçu un carton d’après ceux qu’on voit dans le MoMA (avec même une police typographique très proche) et j’écrivais des descriptions des tableaux, comme s’ils faisaient partie d’une expo officielle. Puis je me suis occupée des problèmes techniques de l’installation—surtout, comment contourner la loi contre l’affichage dans les espaces publiques non-désignés pour l’affichage—que j’ai résolu avec les fils de fer, une agrafeuse industrielle, de la colle très fort, et beaucoup de ruban adhésif. La journée de l’installation je suis partie de la maison vers 8h00 du matin, et j’ai fini vers 16h00. Je n’étais pas arrêté par les gendarmes (youpi) et personne n’a vraiment essayé de m’empêcher. Pendant le travail plusieurs m’en ont parlé, ce qui m’ai bien touché—surtout un petit enfant qui restait plusieurs minutes devant un des tableaux.
Cependant, j’avais imaginé au moins qu’il y aurait des gens avec lesquels mon travail résonné, ou pas, ou que ce projet auquel j’ai dévoué trois semaines jour et nuit aurait provoquer une réaction, d’un sort ou d’un autre—mais en fait je n’ai presque rien vu ni entendu sur le sujet. J’étais d’abord bien déçue : c’était comme si je répétais une pièce gratuite au public pendant des mois et puis le jour de la performance personne n’est venu. Je me demandais si mes tableaux étaient de la merde, si mes idées étaient de la merde, si c’était une faute énorme d’avoir écrit les cartons en anglais (ça, oui, c’était une faute), ou si j’avais choisi des endroits mauvais. Mais après avoir encore réfléchi, j’ai décidé de ne pas le voir comme un grand échec. J’avais commencé le projet comme un travail fondamentalement personnel, et malgré tous, je produisais plusieurs tableaux et idées qui parlaient des choses pertinents à moi dans une façon qui me plaisait. De plus, dès qu’on entre dans l’espace publique, on entre dans la quête pour l’attention des autres—une quête attirante mais dangereuse, parce que l’attention est capricieuse et beaucoup influencée par la chance. Et en fait puisque je n’installais pas les caméras de surveillance 24/7 je n’avais même pas une moyenne de voir l’une sur 1000 qui était peut-être bien touchée par mes tableaux.
Enfin, je suis contente d’avoir essayé, parce que si je n’avais pas essayé, je me demanderais toujours ce qui aurait pu se passer. Je suis bien reconnaissante pour tout le soutien que m’ont donné ma famille d’accueil, mes amis, et le programme de VWPP. Je ne sais pas si je vais finir les deux autres parties que j’avais prévu de faire au début (en fait, 27 tableaux, c’est beaucoup) mais je continue de peindre et d’aller aux expos et musées, en espérant que ma prochaine « expo » sera peut-être dans une galerie, plutôt qu’affiché aux murs.
Par Jenna Docher – Vassar’19
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