Écriture créative S25 (3/3)

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Un événement historique (ici le confinement) raconté au plus près du vécu, en écho à ses lectures de l’époque.

  • Par Maya Yanowitch

Je tombe amoureuse pour la première fois en 2020. C’est parce que j’achète un livre de poésie avant que la librairie ferme pour deux ans. C’est un anthologie de Louise Glück. 400 pages. L’école ferme après la première partie du livre alors j’ai du temps pour lire, pour comprendre mon amant, la poésie. Je vois que la poésie n’est pas juste pour les vieux hommes. Je ne respire pas l’air frais de toute la deuxième partie du livre. Central Park est une morgue en troisième partie et pendant la dernière partie j’ai une piqure dans mon bras et c’est difficile de tourner les pages. J’adore la littérature depuis toujours. J’aime la poésie particulièrement parce qu’elle est fragmentée comme la tête, comme les émotions que les phrases formées ne peuvent pas attraper. Mais je lis ce livre et tous les mots sont des mots que j’aurais souhaité exprimer moi–même, mots qui capturent un morceau de ma tête sans avoir vécu là. Et il est difficile de comprendre cette universalité rhétorique, quand le monde est sur un écran, quand trois millions de morts ne disent rien parce que je n’ai jamais vu trois millions personnes. Pour moi, ce livre, cette poésie est une forme de connexion dans une vie déconnectée. C’est la première fois que je découvre une phrase ou le cerveau d’un autre. En vérité, je ne connais pas Louise Glück. Je n’ai pas besoin de connaître Louise Glück. Je trouve que dans la poésie les mots abandonnent leur créatrice et prennent un corps vivant, respirant. C’est une idée controversée mais je crois que l’écriture est un acte de donner, pas de montrer puis reprendre. Il y a un élément contagieux dans l’écriture, ironiquement. 

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Texte écrit en classe sous contrainte de mots imposés (choisis par les participant.e.s)

  • Par Julia Fedoruk

Will et moi sommes arrivés fatigués au jardin de Versailles. Les rayons du soleil chaud piquaient nos dos comme des ananas dans la bouche. Soudainement, nous avons vu un paradis apparaître devant nous. Des tunnels d’arbres qui s’arquaient les uns vers les autres, créant des passages secrets, un labyrinthe d’ombre. Nous nous sommes précipités, presque sautant vers l’abri du soleil, comme les rats ont dû faire à la fin de l’âge des dinosaures. L’ombre collante nous a soudainement entourés et nous nous sommes sentis transportés au siècle du roi Louis XIV. Nous imaginions la jeune reine Marie-Thérèse en train de marcher dans ses passages, chuchotant des secrets de cours avec sa belle-mère et mentor Anne d’Autriche pendant que sa fille Anne-Élisabeth s’accroupissait au bord des arbres pour chercher sa poupée qui était tombée par terre. Toutes sortes d’hommes et de femmes de la cour, dans leurs grands vêtements étouffants, couverts de bijoux précieux, rubis, turquoise, ambre, ont dû chercher l’abri et l’intimité dans cet abri avec un sentiment un peu magique. Nous avons erré pendant longtemps, tous les deux perdus dans nos pensées.

Écriture créative S25 (2/3)

Texte inspiré par l’incipit…

….d’A la recherche du temps perdu

  • Par Julia Fedoruk

J’ai les vendredis après-midi libres, mais ça ne veut pas dire que je peux en faire ce que je veux – c’était une leçon que j’ai apprise un vendredi il y a plusieurs mois. J’étais seule dans un brouillard interne, le monde de mes pensées limité par des nuages gris statiques, essayant avec une force de moins en moins présente de guider mes yeux vers la ville de Paris sous moi. Je montais sur un escalator dans une tube comme les tubes qu’on met dans les habitations de hamster – on dit que ces tubes ne sont pas vraiment bien pour la santé des hamsters ; au lieu de trouver un peu d’exercice, ils courent jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus, amenés par l’anxiété. Je pensais peut-être que j’étais capable de courir comme cela sans arrêter, que c’était attendu par une force plus grande que moi ; je ne sais pas comment l’appeler, peut-être le désir, l’espoir, sinon la peur, l’ambition. Je suis arrivée à l’étage. À la fin de mes forces, je courais encore, ou bien, je continuais de rester debout, je suis sortie, j’ai fait la queue, on m’a demandé de mettre mon sac à dos dans le vestiaire, j’ai trouvé le vestiaire, j’ai mis mon sac dedans, j’ai écrit le code dans mon cahier, j’ai trouvé la première galerie, j’ai essayé de faire marcher le guide IA, cela n’a pas marché, et maintenant j’étais là, debout, essayant de focaliser mes yeux sur un placard avec le texte petit, trop petit, en français. Les mots se croisaient comme une pelote de laine nouée au point d’être inutilisable, je n’arrivais pas d’atteindre un niveau de compréhension le plus simple avec une langue normalement familière ; je me suis sentie flottant de plus en plus haut, bienvenue dans les nuages de mon monde interne, ma conscience s’est mise à se reposer doucement derrière mes yeux, tout à coup mes jambes sont devenues légères, comme si quelqu’un d’autre marchait dans mon corps, et j’ai flotté de galerie en galerie, toutes les couleurs, toutes les textures se mélangeant sans ordre.

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Une promenade à Paris 

  • Par Amelia Larson

Les Sentiments d’un Portable Perdu

J’ai perdu mon portable. Je marche. J’adresse un geste à la main à l’accueil. Je quitte l’université. Je marche. J’ai perdu mon iphone. J’ai perdu mes Airpods. Je marche. Je regarde la rue, le béton. Je ne regarde pas mon portable. J’ai l’envie de bousculer ma propre tête dans les toilettes. 

Je marche. Je regarde. J’écris. Dans mon cahier rouge avec mon gros stylo. 

Les gens autour de moi portent des sandales (des slides, en particulier). Une femme, en sandales, a des tatouages qui entourent son pied, ses doigts de pied. Même ses ongles de doigts de pied sont tatoués. 

Je sors du métro. Je ne me baigne pas la tête dans les toilettes. J’inspire profondément. Une femme, qui marche dans l’autre sens, laisse échapper un cri. Non, pas un cri. Elle pleure. Non, elle fait semblant de pleurer. Des larmes fortes et fausses. Je compatis. Je ne pleure pas. Je marche. Je ne crie pas. J’écris. 

Le mec devant moi porte un oreiller sur le cou. Il est tropical, turquoise avec des frondes d’un palmier. Un bébé nous dépasse sur une trottinette. Puis un adulte. Une armée d’adultes sur trottinettes. 

Un homme passe sur un vélo, le siège du bébé vide en arrière. Derrière lui, il y a un enfant dans une cage arrière d’un autre vélo. Il garde ses genoux sous des rampes. Un bébé passe dans sa poussette. Un grand enfant s’assied sur la batterie du vélo électrique d’une femme. 

Il y a plusieurs lesbiennes au bar lesbien. C’est normal pour un bar lesbien, mais pas pour un bar. Il n’y a pas de bébés lesbiens aujourd’hui.

Quelqu’un marche et écrit en même temps. Son stylo est comiquement gros et jaune, comme dans un dessin. C’est moi.

Sur le sac à poubelles d’un resto chinois, il y a un dessin d’un sac à poubelles qui me fait le symbole de la paix. Les léopards sur les murs regardent les poubelles d’un air affamé. La paix sera jetée.

Un homme me dépasse avec un portable dans chaque main. Donne-les-moi ! Il dit non. Qu’un seul, peut-être ! Non encore.

“Natures Wailing” gémit le t-shirt du prochain mec. Les oiseaux ne chantent pas à 18h. Ils ne chantent qu’au lever du soleil quand je prends le premier métro. 

Je sens un barbecue dans l’air. Je voudrais deux portables et un barbecue. Les léopards me regardent. Ils veulent aussi un barbecue. 

Écriture créative S25 (1/3)

Récit inspiré du séjour parisien

  • Par Maya Yanowitch

Mon premier jour, ma première heure à Paris, j’ai vu une chèvre dans la rue. La chèvre était en dehors d’une fromagerie alors naturellement je pensais que les chèvres dans la rue, comme les fromageries étaient un phénomène pas existant à New York, mais normal à Paris. Quand j’ai découvert qu’il n’y avait pas normalement des chèvres à Paris, c’était triste pour moi. La chèvre, comme tous les animaux, les enfants, les adultes que je vois à Paris se comportait très bien. Paris est New York enveloppée avec précaution, lacée avec des métros propres, de la haute couture, pliée avec l’histoire, de la culture, et des vieilles fenêtres. New York est chaotique, bruyant animé melangé avec une vitesse qui en fait une ville qu’on ne peut pas dupliquer, quelque chose qui semble fait par accident, un produit impossible à reproduire. Si j’étais une chèvre dans le onzième, je crois que j’aurais eu une manière plus new yorkaise, plus rebelle que cette chèvre douce. C’est vrai, malheureusement que je n’ai plus vu de chèvre après ce moment. Mais je n’ai pas vu de Taco Bell, ni de métros coincés, ni d’enfants en train de pleurer, ni de chiens en train de crier, d’adultes en train de parler fort, ni de personnes dans leurs pyjamas. Alors j’attends patiemment une autre chèvre sur la rue Oberkampf. Parce que Paris n’est pas New York où les chèvres sont des animaux mythiques, parce que je n’ai jamais vu une chèvre sur Broadway. 

C’est une chèvre en face de moi. Une chèvre à Paris, une étrangère comme moi, je suppose. C’est une chèvre et une fromagerie et je crois que je ne suis plus à New York maintenant parce que je n’ai jamais vu une chèvre et un métro en même temps, ni une fromagerie dans ma vie. C’est une étrangère comme moi, cette chèvre, non, c’est une chèvre française, une chèvre qui reste tranquille, reste dans la rue comme si elle était une partie de la rue, une partie de Paris, pas comme moi. Moi je ne reste nulle part depuis trop longtemps. Je suis de New York, je ne dors jamais, toujours en train de bouger. Je le devine parce que je suis à Paris maintenant avec une fromagerie et une chèvre, avec des inconnues et une valise dans mes mains et de la fatigue dans mes yeux. La chèvre, comme Paris, reste debout, sans sourire, sans porter de vêtements bizarres comme à New York (pourquoi nous sommes toujours habillés comme ça, je ne sais pas), la chèvre est plus parisienne que moi. Et moi je suis debout dans ma rue, pas encore ma rue, mais ce qui deviendra ma rue et je vois la chèvre et je pense qu’elle est plus parisienne que moi, et je suis jalouse. Quand je pense à Paris, quand je pense à cette version de New York lacée fermement, ce New York qui résiste à l’existence chaotique, ce New York plus vieux. Je pense à la chèvre parisienne, l’autre étrangère que j’ai remplacée. Maintenant, oui, à ce moment, j’attends patiemment une autre chèvre sur la rue Oberkampf. Je n’ai jamais vu une chèvre sur Broadway. 

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Texte inspiré par l’incipit…

…du Ravissement de Lol V. Stein

  • Par Amelia Larson

C’est Moi, la Princesse

Je ne suis pas seule. Il y a plein de monde dans la salle, même Ali à côté de moi et des gens qui attendent devant la porte. Je suis dans ma tête. Les mots qui viennent de ma bouche ne sont pas à moi. Ils sont d’une Française timide et féminine. Mes paumes glissent. J’essaie de les sécher sur ma robe. 

Qu’elle est belle, cette robe ! Sa jupe tournoie comme une vague de soie, comme le tutu d’une princesse enfant. C’était le plus grand achat de vêtements que j’ai jamais fait avec mon propre argent. Cent dollars pour une robe des années 40s/50s dans un magasin vintage à Nashville où je suis passée par hasard en partant de la ville. Encore plus chère après que je l’ai apportée au tailleur sur la rue de la Jonquière. Je ne l’ai jamais portée toute une journée. 

Les mains se présentent à moi. J’inspire en regardant l’âge reflété dans le visage de mon nouveau partenaire et choisissant entre “Salut !” et “Bonsoir !”. 

Au centre, Camille porte une robe jaune clair, assez légère pour faire de bons tours. C’est novembre, mais la salle anticipe la quai Saint-Bernard au printemps. Nous tournons vers elle qui explique nos prochains pas. 

La musique commence. “Ex’s and Oh’s” d’Elle King. J’expire. Je rigole. Je suis encore moi-même dans ma tête. Je fais un petit sourire à mon partenaire. Il sent les clopes rassises. Il porte que du noir. Ses cheveux se plaquent en arrière. Il sourit largement.  

–J’ai voulu danser avec la fille à la belle robe. 

Il saisit ma main. Je rougis. Nous tourbillonnons ensemble.

Mon prochain partenaire, la femme en jeans rapiécés. Elle vient chaque semaine avec son sourire maladroit et la robe rouge dans laquelle elle se change pour la période de danse libre. J’apprécie une femme qui fait les deux parties de cette danse de rock qui est trop genrée. 

Moi, je reste follow. Je trébuche.

Je ne suis pas la fémininité française. J’ai surpris Élise, la vraie femme française, avec la déclaration que le rock est genré. Je veux danser du rythme sans règles. Mais surtout, je veux que mon tutu de princesse se déploie devant moi. 

Je fais des bêtises avec Ali. On danse ensemble en échangeant entre lead et follow complètement au hasard. J’attends son prochain pas. Nos bras deviennent le bazar. L’homme en noir demande encore une danse libre. J’accepte. Je bouche mon nez. 

Au bout du compte, je me fais tourner sans partenaire. Ma jupe remonte presque aux hanches. Je regarde les motifs de la dentelle pervenche qui s’emmêlent autour de moi. 

Introduction à l’atelier d’écriture créative (S25)

Nous avons le plaisir de vous partager les textes produits durant l’atelier d’écriture créative ce semestre. Ce week-end et le prochain, venez, revenez lire les créations de Julia, Amelia et Maya… Créations présentées par leur enseignant, Alexis Weinberg. 

« Une nouvelle session de l’atelier d’écriture créative, une nouvelle dynamique de groupe, pour ces six séances de deux heures organisées autour de six « gestes » tournés vers l’écriture : jouer, imiter, voir, écouter, se souvenir, fictionner.
Ce semestre, nous sommes allé.e.s à la Maison de la poésie à la rencontre d’Anne Serre et de Marianne Denicourt qui ont lu des extraits d’Au secours, que les éditions Champ Vallon ont eu la bonne idée de rééditer. Le Monde évoquait lors de la publication en 1998 un
« époustouflant exercice de style ». L’éloge est-il excessif, appliqué à certaines des
propositions qui suivent, manifestant déjà de fortes personnalités littéraires ?
Merci à Amelia Larson, à Julia Fedoruk et à Maya Yanowitch pour leur implication, ainsi
qu’au VWPP dirigé cette année par Jeff Rider pour son amicale confiance.
Vous croiserez bientôt une chèvre rue Oberkampf, des léopards sur un mur, une femme qui pleure ou fait semblant à la sortie du métro, vous errerez dans un Paris de rêve, vous perdrez votre portable, vous irez jusqu’à Versailles surprendre la jeune reine Marie-Thérèse.
Ce ne sera pas de tout repos, mais cela vaudra le détour. Bonne lecture ! »

Alexis Weinberg

Textes de l’atelier d’écriture créative (3/3)

L’élection de 2016, point de vue subjectif de l’adolescent

  • Par Teoman Soydan

Trump et Begum

Je marche dans la cuisine et mes parents sont en pleine discussion sur celui qui a gagné. Je me souviens d’avoir parlé de cela, il y a 2 ou 3 jours, avec mon amie. Cependant, on n’est pas simplement des ami.e.s mais des concurrent.e.s. Moi, en plus, je ne suis pas très très doué pour lui parler. Mais, je ne suis doué pour parler à personne, honnêtement.

Un jour, on déjeune ensemble comme on le fait tous les jours, dans le sous-sol du collège où on mettait les élèves qui apportent leur repas de leur maison. Je lui demande sa pierre préférée parce qu’il y a 1-2 semaines qu’elle m’en a parlé. “Teo, tu es nul en bavardage, tu sais ?” Elle me quitte. Mais je le sais quand même. Que je ne suis pas comme mon frère charismatique et brillant qui sait toujours quoi dire. J’aimerais lui ressembler. Non, je voudrais sortir avec une fille, comme lui. Je lui ai mentionné cette idée il y a un an mais il a rigolé.

Donc ce matin où je me suis mis sur ma chaise, prêt à manger mon omelette avec des noix qui allaient me donner de l’intelligence pour l’examen dans deux semaines mais qui font aussi gonfler les joues, je réfléchis aux moyens par lesquels je vais parler à mon amie. Je sais qu’elle va s’y intéresser parce qu’elle est obsédée par Keeping Up with the Kardashians. Donc quand je suis dans la salle de classe parmi les corps, les lumières brillant comme dans les asiles et les fenêtres si fermées que l’air ne pourrait jamais sortir ou entrer, j’y suis préparé.

Mais on n’a pas l’occasion de se parler jusqu’au déjeuner. Je mange mon sandwich graisseux, mes doigts si humides que l’huile entre et voyage dans mon corps, alors qu’elle mange ses lentilles tranquillement. J’ai peur d’elle : “T’as vu les nouvelles sur Trump ?”

“Oui, c’est terrible, mais pas un problème pour nous quand même.”

Le silence jusqu’à ce qu’on commence à parler des problèmes qu’on a résolus hier. Sa réponse ne prend que trois secondes. J’ai des choses à lui dire après avoir réalisé que celui que je cherche, ce n’est pas spécifiquement une fille comme mon frère, mais un garçon. Je veux qu’elle me pose des questions spécifiques sur ce que je ressens. Mais elle n’a aucune idée. Personne n’en a. J’y réfléchis alors qu’elle me révèle le dernier épisode de Keeping Up with the Kardashians mais je m’en fous. Donc, je finis mon sandwich huileux pour passer aux problèmes satisfaisants qui me donnent l’impression que je vaux quelque chose, la seule chose que je cherche dans la vie.

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A l’écoute du réel : écriture poétique en classe

  • Par Dash Merrill

Je ne peux pas voir sans mes lunettes

Mes lunettes ne peuvent pas exister sans moi

Alors, pourquoi changent-elles la pluie en larmes ?

Les nuages en fumée ?

Les fleuves en rapides ?

L’histoire de ma vie est écrite par les lunettes qui me trompent

Chaque matin je les porte

Dans l’espoir de les laisser tomber sur le trottoir

Et, moi-même, de tomber dans l’inconnu

 

Textes de l’atelier d’écriture créative (2/3)

Une brève histoire inspirée du séjour parisien

  • Par Noah Robie

Le jeune homme marcha dans le jardin à la recherche d’une phrase musicale qu’il entendit plusieurs pas plus loin. Il passa devant les gens assis sur les bancs, lisant seul ou discutant silencieusement avec leurs compagnes, sous la charmille de tilleuls. Il tenait les barreaux de la barrière rouillée et se repaissait de l’origine de la musique — d’un harpiste et de son immense instrument — juste en face, sous l’arche d’une arcade d’un bâtiment en briques roses avec un chaînage en crème. Le harpiste jouait un morceau qui exigeait toute sa force, ses bras et doigts à la fois pinçant les cordes comme on brise le cou pulpeux d’un pigeon qui gèle sur une branche d’un chêne et comme on caresse le bas mou du lobe d’une oreille. Tout cela, l’homme l’observa attentivement. Le tempo des feuilles qui tombent. 

Tout à coup, le jeune homme entendit le craquèlement de l’allée du gravier derrière lui. Il se tourna et vit un garçon sur un tricycle aussi rouge que son teint, refusant de suivre sa mère. Le jeune homme le regarda fixement sans rien dire. Le garçon scruta l’homme, en disant enfin quelque chose de profondément appuyé mais entièrement inintelligible. Ils partagèrent un silence. On ne pouvait entendre que les éclats de cils des interlocuteurs ou les chaussettes noires qui tombaient doucement plus bas sur la cheville. Décidant de recommencer, l’homme dit « Bonjour. Ça va ? » 

Le garçon continua à regarder attentivement l’homme, grimaçant. « Non », lui répond-il avec force. 

— Pourquoi ? » interpella l’homme. Il le regarda et attendit une réponse. Mais le garçon ne dit rien, ses iris étincelant. Et dans leur périphérie, car les deux ne voulaient pas casser leur regard pénétrant et interrogatif, les deux virent la mère du garçon s’approcher.  

— Maman ! » cria-t-il enfin, pédalant vers elle. « Le mec m’a demandé “pourquoi” ! » 

Il disparut, s’en allant en roulant derrière sa mère, comme la disparition lente et insistante des vibrations de cordes, pincées dans l’air. 

L’homme recommença à écouter.

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« Logo-rallye », exercice d’écriture avec termes imposés (fait en classe)

  • Par Teoman Soydan

Les pommes de terre et les sauterelles

Elles sont déjà là. On les a amenées de Versailles, pas à pas, quelque chose auquel elles ne s’attendaient pas. Leur maquillage coule tranquillement avec leurs larmes précieuses. L’ère des pommes de terre finissant, les sauterelles les retiennent par les bras, les mettant sur l’échafaud pour la cannibalisation de celles avec une vie modeste et pauvre alors que la leur était ostentatoire et riche. Leurs perruques pas aussi merveilleusement coiffées sont par terre et leurs vêtements sont en morceaux. Elles se sentent totalement impuissantes quand les sauterelles révolutionnaires préparent tous les éplucheurs. Le public commence donc à chuchoter. Mais aucune sauterelle ne va cligner des yeux, personne ne va agir quand on commencera à éplucher leurs peaux petit à petit, vu leur présence égoïste et insupportable n’étant plus acceptable sur la place de la Concorde.

 

 

 

Textes de l’atelier d’écriture créative (1/3)

Promenade parisienne, aux accents surréalistes.

  • Par Dash Merrill

Les bâtiments de Paris nagent et tournoient, tous ensemble, tous différents. Leur propres couleurs brillent pendant que la ville devient la rue, et la rue devient les façades, et les façades deviennent les fenêtres qui cachent les histoires des gens à l’intérieur. Les portes grandes et petites : la bouche, les fenêtres : les yeux, les briques : la peau. Ils se parlent, jours et nuits, discutant des histoires que personne ne connait. Ils ont vu les événements de la ville avant que toutes les personnes qui y vivent soient nées. Ils vont voir le monde après que le ciel rougit et les plantes reprennent encore la terre. 

Pendant ma promenade à travers le quartier, j’entends des petits morceaux de leurs conversations. Un vieux bâtiment fait la morale au bâtiment moderne. Les grandes fenêtres nombreuses aveuglent le plus âgé avec du soleil. Un petit bâtiment se cache à l’arrière de son mur, avec les yeux qui jettent un coup d’œil dans la rue. Des jumeaux se disputent côte à côte. J’arrive à mon bâtiment, une veille femme qui a trop fumé pendant sa vie, mais qui ne regrette rien. Elle ouvre sa bouche qui est la porte et j’entre, descendant la gorge. 

Regardant à travers ses yeux, je vois les lampes de rue allumées. Dès ce moment, les sommets se transforment en méduses. Les bâtiments rient, c’est leur partie favorite de la nuit. Les méduses dansent et ondulent, éclairant le graffiti délavé dans les murs des bâtiments rebelles. Je vois des déchets sur le terrain, fondant lentement dans la terre. Les méduses rebondissent sur l’équipement de construction, les machines avec autant de bras qu’une araignée. Une des méduses renverse un sac de saletés que quelqu’un a laissé au milieu de la rue. 

Dans ma chambre, je regarde mon lit. Je me vois moi-même, endormi, les yeux fermés, respirant doucement. Qu’est-ce qui se passe dans ma tête ? je me demande. 

  • Par Teoman Soydan

D’Enfer-Rochereau

Il attend déjà sur le quai une fois que j’y arrive. Je le remarque immédiatement, son air bizarre et différent, il s’y balade comme s’il n’a nulle part où aller. Je passe derrière lui pour aller loin mais je le vois me suivre jusqu’à ce que nous soyons dedans. J’ai l’impression qu’il me regarde. Je ne le regarde pas mais je sens ses yeux sur moi. Mes yeux échappant aux siens commencent à compter les arrêts : 1, 2, 3, 4 … Il regarde ce que je regarde. J’essaie de regarder son visage sans attirer son attention mais il arrive à découvrir mes yeux avec les siens. Il les explore avec un sourire mais sans aucune expression dans ses yeux. Dans les courtes secondes où je le regarde, j’aperçois qu’il a de grands yeux pour la taille de son crâne et qu’il me connaît, mais qu’il n’a pas d’âme. Je descends avant d’arriver à mon arrêt.

Je m’assois sur un siège, ressentant l’air lourd dans mes poumons, des lampes clignotantes et chantantes comme dans une morgue. Mon corps digère mollement les lentilles du déjeuner. Je regarde les gens aller et venir, un voyeur banni, comme si quelqu’un allait m’arrêter. Je n’appartiens pas à ici mais personne n’y appartient parce qu’on ne reste pas dans les stations de métro. On ne les utilise que pour aller et venir.

Quand je lève mon regard, je vois des squelettes habillés, leurs crânes dans les écrans. Un casque couvre les oreilles de chacun. La ligne est interrompue entre Raspail et Glacière, mes deux mondes, avec moi au milieu. Mais personne ne bouge.

Donc il réapparaît mais, cette fois, il devine que je viendrai avec lui. Il me regarde avec le même sourire sans aucune expression dans ses yeux. Donc je me lève et je le suis dans les tunnels. On marche dans le noir jusqu’à la fin du passage.

Je me pousse sur le quai quand on quitte le tunnel mais je ne vois personne quand je regarde derrière moi. Donc je prends mon casque, le mettant sur les oreilles, je marche vers l’appartement ; comme si rien ne s’était passé, comme si rien ne se passe.

Introduction à l’atelier d’écriture créative (F24)

Ce semestre encore, le VWPP vous partage les textes des étudiant·e·s ayant participé à l’atelier d’écriture créative. Durant toute cette semaine, vous découvrirez jour après jour les univers de mots créés par Dash, Noah et Teo. En attendant, voici le traditionnel mot d’ouverture de leur enseignant, Alexis Weinberg.

Bonne lecture !

 

Six séances thématiques de deux heures, structurées par de grands « gestes » d‘écriture ; une dizaines de productions par étudiant.e, parmi lesquelles le choix de quelques-unes à publier sur ce blog. Les textes sont tels qu’ils ont été écrits en atelier, pendant la séance ou dans son immédiat prolongement, à quelques corrections grammaticales près.

Un groupe restreint ce semestre, mais quel groupe ! Les textes qui suivent font voir des sensibilités déjà très personnelles. Une place importante accordée à Paris : scènes de la vie parisienne, dérives d’inspiration surréaliste… Veine prolongée, lors de notre traditionnelle sortie à la Maison de la Poésie, par un concert d’inspiration modianesque : « Memento, Chansons autour de Modiano », textes de François Mondot, formation musicale autour de Dominique A. Ce fut l’occasion de cheminer ensemble entre intime et collectif, entre passé et présent, tandis que les souvenirs d’une certaine élection remontaient à la surface…

Un chaleureux bravo à Dash, Noah et Teo ! et un grand merci à toute l’équipe du VWPP, notamment à Jeff, Hannah et Sophie, pour leur confiance renouvelée !

Alexis Weinberg

Écriture créative, printemps 2024 : 4/4

A la manière de Marcel Proust, de Marguerite Duras ou de Virginie Despentes.

Par Antonio Ferraiolo Costa

Le jour où j’ai décidé d’adopter mon mini goldendoodle d’une petite ville du Wisconsin a été un grand moment dans ma vie ; cela a marqué le début d’un beau voyage rempli d’amour et de camaraderie. Alors que je traversais les paysages forestiers verdoyants et les rues calmes de cette ville isolée, je me suis retrouvé attiré par un centre d’adoption local, où j’ai rencontré d’adorables compagnons à fourrure cherchant avec impatience un foyer pour toujours. Parmi eux, un mini goldendoodle en particulier a conquis mon cœur ; avec son pelage moelleux, ses yeux émouvants et son charme irrésistible. Sans hésitation, je savais que j’avais trouvé mon partenaire idéal ; et c’est ainsi que, avec un sentiment d’enthousiasme et d’anticipation, je me suis lancé dans le voyage de l’adoption. La paperasse était si petite que j’ai pensé que quelque chose devait mal tourner ; mais avant de m’en rendre compte, je sortais du refuge avec mon nouvel ami à quatre pattes à mes côtés, prêt à commencer notre aventure ensemble. J’ai sauté dans ma voiture, mais j’ai entendu un grand cri de la jeune vendeuse qui nous avait vendu le chien ; son manager l’a suivie. Elle m’explique que le chien spécifique hypoallergénique que j’appelle désormais Lilli avait déjà été réservé par un membre de leur communauté. Mon cœur se serra ; mais ensuite je me suis souvenu de la paperasse, du contrat que nous avions tous les deux signé. J’avais toujours voulu un chien et je ne pouvais en avoir que quelques types à cause de l’allergie de mon père. J’ai montré au responsable les documents et il était écrit « toutes les ventes finales » en bas. Le manager n’a eu aucune réponse et je suis donc parti avec mon nouveau meilleur ami. En adoptant mon mini goldendoodle, j’ai trouvé non seulement un animal de compagnie, mais aussi un ami fidèle et un compagnon chéri, dont la présence continue d’enrichir ma vie d’une manière que je n’aurais jamais imaginé possible.

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Par Justyn Cooke

Par la fenêtre au bout de ma chambre, j’ai vu un sapin de loin. C’était un grand sapin comme dans les tableaux des meilleurs peintres russes, qui remplissait le cadre de la fenêtre ; un sapin tout large et débraillé dont les aiguilles pendantes ressemblaient à celles de la pluie. Je l’ai aperçu lorsque, étant si épuisé de mes études et de mon travail, je m’étais vite levé en me détournant de mon bureau, me retirant de mon livre, et là-dessus je l’ai vu. Je l’avais déjà vu, bien sûr, chaque fois que j’ai regardé par la fenêtre, mais je ne l’avais jamais vu comme tel, si immense et frappant ; et comment est-ce que c’est possible que j’aie ignoré cela ? Que je sois détesté comme des rois de l’antiquité qui chevauchaient dans leurs royaumes sans qu’ils constatent les pauvres dans les rues ou les ouvriers qui faisaient toutes leurs richesses ! Ce pauvre arbre n’a jamais été reconnu, jamais connu, et jamais aimé — j’en suis sûr — non plus.

Écriture créative, printemps 2024 : 3/4

Récit personnel d’un événement historique.

Par Antonio Ferraiolo Costa

J’étais en troisième année du HS lorsque le covid a commencé. Au début, il semblait que quelque chose se passait très loin, dans d’autres pays. Mais très vite, il est devenu clair que cela se rapprochait, et avant que nous nous en rendions compte, notre école a été fermée pour une durée indéterminée.
La transition soudaine vers l’école en ligne a été choquante. C’était surréaliste d’assister à des cours sur un écran d’ordinateur, d’essayer d’absorber des informations tout en étant assis sur mon lit à la maison. Le manque d’interaction sociale avec les amis et les profs rendait la tâche encore plus difficile. Nous ne pouvions plus nous réunir dans les salles de classe, partager des notes ou rire ensemble pendant les pauses. Tout était devenu isolé et l’atmosphère autrefois vibrante de l’école semblait étrangement vide.
Quant au football, c’était une grande partie de ma vie. Je jouais depuis que j’étais enfant et l’idée de ne pas pouvoir entrer sur le terrain avec mes coéquipiers était dévastatrice. Les entraînements et matchs ont été annulés, et la camaraderie que nous partagions pendant les séances d’entraînement a disparu. C’était une pilule difficile à avaler, réalisant que quelque chose que j’aimais tant avait été suspendu indéfiniment.

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Par Avery Patterson

Le matin où j’ai quitté New York, la neige polluait la fenêtre. Je garde les fenêtres ouvertes quand je dors, même en hiver. Des flocons de neige fondaient timidement sous la chaleur attirante des murs jaunes et claustrophobes de ma chambre. Ce matin-là, l’air frais passait à travers la fenêtre et persistait dans mon nez, et brûlant les coins intérieurs de mes yeux. Mes respirations sortaient en nuages de chaleur ivoire. Pour me lever, je pensais à ces nuages et l’air extérieur de ma chambre. J’ai poussé la fenêtre plus haut. Je respirais désespérément, mais malheureusement ces inhalations ne duraient pas longtemps, je devenais froide.
Habituellement, je dois me résigner à respirer la poussière cruelle qui s’accumule dans les coins de mon monde intérieur, mais pas aujourd’hui. Ces derniers jours les coins de mon monde intérieur semblent tristes et stressants. Une mélancolie reste derrière mes yeux, et des vagues de larmes tombent souvent sur mes joues.
Mais ce n’est pas seulement la neige, c’est la présence oppressante de la pandémie qui me rend triste. Confinée chez moi, toute seule, chaque jour est le même. Mes jours sont marqués par une routine monotone et l’incertitude. Les interactions humaines et personnelles sont rares, remplacées par des écrans et des conversations virtuelles qui ne me satisfont jamais. Le confinement me donne l’impression que ma chambre devient plus et plus petite chaque jour. Je quitte New York et ne reviendrai pas. Je crains pour le monde, pour mes amis, pour ma famille.