Textes de l’atelier d’écriture créative (3/3)

L’élection de 2016, point de vue subjectif de l’adolescent

  • Par Teoman Soydan

Trump et Begum

Je marche dans la cuisine et mes parents sont en pleine discussion sur celui qui a gagné. Je me souviens d’avoir parlé de cela, il y a 2 ou 3 jours, avec mon amie. Cependant, on n’est pas simplement des ami.e.s mais des concurrent.e.s. Moi, en plus, je ne suis pas très très doué pour lui parler. Mais, je ne suis doué pour parler à personne, honnêtement.

Un jour, on déjeune ensemble comme on le fait tous les jours, dans le sous-sol du collège où on mettait les élèves qui apportent leur repas de leur maison. Je lui demande sa pierre préférée parce qu’il y a 1-2 semaines qu’elle m’en a parlé. “Teo, tu es nul en bavardage, tu sais ?” Elle me quitte. Mais je le sais quand même. Que je ne suis pas comme mon frère charismatique et brillant qui sait toujours quoi dire. J’aimerais lui ressembler. Non, je voudrais sortir avec une fille, comme lui. Je lui ai mentionné cette idée il y a un an mais il a rigolé.

Donc ce matin où je me suis mis sur ma chaise, prêt à manger mon omelette avec des noix qui allaient me donner de l’intelligence pour l’examen dans deux semaines mais qui font aussi gonfler les joues, je réfléchis aux moyens par lesquels je vais parler à mon amie. Je sais qu’elle va s’y intéresser parce qu’elle est obsédée par Keeping Up with the Kardashians. Donc quand je suis dans la salle de classe parmi les corps, les lumières brillant comme dans les asiles et les fenêtres si fermées que l’air ne pourrait jamais sortir ou entrer, j’y suis préparé.

Mais on n’a pas l’occasion de se parler jusqu’au déjeuner. Je mange mon sandwich graisseux, mes doigts si humides que l’huile entre et voyage dans mon corps, alors qu’elle mange ses lentilles tranquillement. J’ai peur d’elle : “T’as vu les nouvelles sur Trump ?”

“Oui, c’est terrible, mais pas un problème pour nous quand même.”

Le silence jusqu’à ce qu’on commence à parler des problèmes qu’on a résolus hier. Sa réponse ne prend que trois secondes. J’ai des choses à lui dire après avoir réalisé que celui que je cherche, ce n’est pas spécifiquement une fille comme mon frère, mais un garçon. Je veux qu’elle me pose des questions spécifiques sur ce que je ressens. Mais elle n’a aucune idée. Personne n’en a. J’y réfléchis alors qu’elle me révèle le dernier épisode de Keeping Up with the Kardashians mais je m’en fous. Donc, je finis mon sandwich huileux pour passer aux problèmes satisfaisants qui me donnent l’impression que je vaux quelque chose, la seule chose que je cherche dans la vie.

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A l’écoute du réel : écriture poétique en classe

  • Par Dash Merrill

Je ne peux pas voir sans mes lunettes

Mes lunettes ne peuvent pas exister sans moi

Alors, pourquoi changent-elles la pluie en larmes ?

Les nuages en fumée ?

Les fleuves en rapides ?

L’histoire de ma vie est écrite par les lunettes qui me trompent

Chaque matin je les porte

Dans l’espoir de les laisser tomber sur le trottoir

Et, moi-même, de tomber dans l’inconnu

 

Textes de l’atelier d’écriture créative (2/3)

Une brève histoire inspirée du séjour parisien

  • Par Noah Robie

Le jeune homme marcha dans le jardin à la recherche d’une phrase musicale qu’il entendit plusieurs pas plus loin. Il passa devant les gens assis sur les bancs, lisant seul ou discutant silencieusement avec leurs compagnes, sous la charmille de tilleuls. Il tenait les barreaux de la barrière rouillée et se repaissait de l’origine de la musique — d’un harpiste et de son immense instrument — juste en face, sous l’arche d’une arcade d’un bâtiment en briques roses avec un chaînage en crème. Le harpiste jouait un morceau qui exigeait toute sa force, ses bras et doigts à la fois pinçant les cordes comme on brise le cou pulpeux d’un pigeon qui gèle sur une branche d’un chêne et comme on caresse le bas mou du lobe d’une oreille. Tout cela, l’homme l’observa attentivement. Le tempo des feuilles qui tombent. 

Tout à coup, le jeune homme entendit le craquèlement de l’allée du gravier derrière lui. Il se tourna et vit un garçon sur un tricycle aussi rouge que son teint, refusant de suivre sa mère. Le jeune homme le regarda fixement sans rien dire. Le garçon scruta l’homme, en disant enfin quelque chose de profondément appuyé mais entièrement inintelligible. Ils partagèrent un silence. On ne pouvait entendre que les éclats de cils des interlocuteurs ou les chaussettes noires qui tombaient doucement plus bas sur la cheville. Décidant de recommencer, l’homme dit « Bonjour. Ça va ? » 

Le garçon continua à regarder attentivement l’homme, grimaçant. « Non », lui répond-il avec force. 

— Pourquoi ? » interpella l’homme. Il le regarda et attendit une réponse. Mais le garçon ne dit rien, ses iris étincelant. Et dans leur périphérie, car les deux ne voulaient pas casser leur regard pénétrant et interrogatif, les deux virent la mère du garçon s’approcher.  

— Maman ! » cria-t-il enfin, pédalant vers elle. « Le mec m’a demandé “pourquoi” ! » 

Il disparut, s’en allant en roulant derrière sa mère, comme la disparition lente et insistante des vibrations de cordes, pincées dans l’air. 

L’homme recommença à écouter.

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« Logo-rallye », exercice d’écriture avec termes imposés (fait en classe)

  • Par Teoman Soydan

Les pommes de terre et les sauterelles

Elles sont déjà là. On les a amenées de Versailles, pas à pas, quelque chose auquel elles ne s’attendaient pas. Leur maquillage coule tranquillement avec leurs larmes précieuses. L’ère des pommes de terre finissant, les sauterelles les retiennent par les bras, les mettant sur l’échafaud pour la cannibalisation de celles avec une vie modeste et pauvre alors que la leur était ostentatoire et riche. Leurs perruques pas aussi merveilleusement coiffées sont par terre et leurs vêtements sont en morceaux. Elles se sentent totalement impuissantes quand les sauterelles révolutionnaires préparent tous les éplucheurs. Le public commence donc à chuchoter. Mais aucune sauterelle ne va cligner des yeux, personne ne va agir quand on commencera à éplucher leurs peaux petit à petit, vu leur présence égoïste et insupportable n’étant plus acceptable sur la place de la Concorde.

 

 

 

Textes de l’atelier d’écriture créative (1/3)

Promenade parisienne, aux accents surréalistes.

  • Par Dash Merrill

Les bâtiments de Paris nagent et tournoient, tous ensemble, tous différents. Leur propres couleurs brillent pendant que la ville devient la rue, et la rue devient les façades, et les façades deviennent les fenêtres qui cachent les histoires des gens à l’intérieur. Les portes grandes et petites : la bouche, les fenêtres : les yeux, les briques : la peau. Ils se parlent, jours et nuits, discutant des histoires que personne ne connait. Ils ont vu les événements de la ville avant que toutes les personnes qui y vivent soient nées. Ils vont voir le monde après que le ciel rougit et les plantes reprennent encore la terre. 

Pendant ma promenade à travers le quartier, j’entends des petits morceaux de leurs conversations. Un vieux bâtiment fait la morale au bâtiment moderne. Les grandes fenêtres nombreuses aveuglent le plus âgé avec du soleil. Un petit bâtiment se cache à l’arrière de son mur, avec les yeux qui jettent un coup d’œil dans la rue. Des jumeaux se disputent côte à côte. J’arrive à mon bâtiment, une veille femme qui a trop fumé pendant sa vie, mais qui ne regrette rien. Elle ouvre sa bouche qui est la porte et j’entre, descendant la gorge. 

Regardant à travers ses yeux, je vois les lampes de rue allumées. Dès ce moment, les sommets se transforment en méduses. Les bâtiments rient, c’est leur partie favorite de la nuit. Les méduses dansent et ondulent, éclairant le graffiti délavé dans les murs des bâtiments rebelles. Je vois des déchets sur le terrain, fondant lentement dans la terre. Les méduses rebondissent sur l’équipement de construction, les machines avec autant de bras qu’une araignée. Une des méduses renverse un sac de saletés que quelqu’un a laissé au milieu de la rue. 

Dans ma chambre, je regarde mon lit. Je me vois moi-même, endormi, les yeux fermés, respirant doucement. Qu’est-ce qui se passe dans ma tête ? je me demande. 

  • Par Teoman Soydan

D’Enfer-Rochereau

Il attend déjà sur le quai une fois que j’y arrive. Je le remarque immédiatement, son air bizarre et différent, il s’y balade comme s’il n’a nulle part où aller. Je passe derrière lui pour aller loin mais je le vois me suivre jusqu’à ce que nous soyons dedans. J’ai l’impression qu’il me regarde. Je ne le regarde pas mais je sens ses yeux sur moi. Mes yeux échappant aux siens commencent à compter les arrêts : 1, 2, 3, 4 … Il regarde ce que je regarde. J’essaie de regarder son visage sans attirer son attention mais il arrive à découvrir mes yeux avec les siens. Il les explore avec un sourire mais sans aucune expression dans ses yeux. Dans les courtes secondes où je le regarde, j’aperçois qu’il a de grands yeux pour la taille de son crâne et qu’il me connaît, mais qu’il n’a pas d’âme. Je descends avant d’arriver à mon arrêt.

Je m’assois sur un siège, ressentant l’air lourd dans mes poumons, des lampes clignotantes et chantantes comme dans une morgue. Mon corps digère mollement les lentilles du déjeuner. Je regarde les gens aller et venir, un voyeur banni, comme si quelqu’un allait m’arrêter. Je n’appartiens pas à ici mais personne n’y appartient parce qu’on ne reste pas dans les stations de métro. On ne les utilise que pour aller et venir.

Quand je lève mon regard, je vois des squelettes habillés, leurs crânes dans les écrans. Un casque couvre les oreilles de chacun. La ligne est interrompue entre Raspail et Glacière, mes deux mondes, avec moi au milieu. Mais personne ne bouge.

Donc il réapparaît mais, cette fois, il devine que je viendrai avec lui. Il me regarde avec le même sourire sans aucune expression dans ses yeux. Donc je me lève et je le suis dans les tunnels. On marche dans le noir jusqu’à la fin du passage.

Je me pousse sur le quai quand on quitte le tunnel mais je ne vois personne quand je regarde derrière moi. Donc je prends mon casque, le mettant sur les oreilles, je marche vers l’appartement ; comme si rien ne s’était passé, comme si rien ne se passe.

Introduction à l’atelier d’écriture créative (F24)

Ce semestre encore, le VWPP vous partage les textes des étudiant·e·s ayant participé à l’atelier d’écriture créative. Durant toute cette semaine, vous découvrirez jour après jour les univers de mots créés par Dash, Noah et Teo. En attendant, voici le traditionnel mot d’ouverture de leur enseignant, Alexis Weinberg.

Bonne lecture !

 

Six séances thématiques de deux heures, structurées par de grands « gestes » d‘écriture ; une dizaines de productions par étudiant.e, parmi lesquelles le choix de quelques-unes à publier sur ce blog. Les textes sont tels qu’ils ont été écrits en atelier, pendant la séance ou dans son immédiat prolongement, à quelques corrections grammaticales près.

Un groupe restreint ce semestre, mais quel groupe ! Les textes qui suivent font voir des sensibilités déjà très personnelles. Une place importante accordée à Paris : scènes de la vie parisienne, dérives d’inspiration surréaliste… Veine prolongée, lors de notre traditionnelle sortie à la Maison de la Poésie, par un concert d’inspiration modianesque : « Memento, Chansons autour de Modiano », textes de François Mondot, formation musicale autour de Dominique A. Ce fut l’occasion de cheminer ensemble entre intime et collectif, entre passé et présent, tandis que les souvenirs d’une certaine élection remontaient à la surface…

Un chaleureux bravo à Dash, Noah et Teo ! et un grand merci à toute l’équipe du VWPP, notamment à Jeff, Hannah et Sophie, pour leur confiance renouvelée !

Alexis Weinberg

Écriture créative, printemps 2024 : 4/4

A la manière de Marcel Proust, de Marguerite Duras ou de Virginie Despentes.

Par Antonio Ferraiolo Costa

Le jour où j’ai décidé d’adopter mon mini goldendoodle d’une petite ville du Wisconsin a été un grand moment dans ma vie ; cela a marqué le début d’un beau voyage rempli d’amour et de camaraderie. Alors que je traversais les paysages forestiers verdoyants et les rues calmes de cette ville isolée, je me suis retrouvé attiré par un centre d’adoption local, où j’ai rencontré d’adorables compagnons à fourrure cherchant avec impatience un foyer pour toujours. Parmi eux, un mini goldendoodle en particulier a conquis mon cœur ; avec son pelage moelleux, ses yeux émouvants et son charme irrésistible. Sans hésitation, je savais que j’avais trouvé mon partenaire idéal ; et c’est ainsi que, avec un sentiment d’enthousiasme et d’anticipation, je me suis lancé dans le voyage de l’adoption. La paperasse était si petite que j’ai pensé que quelque chose devait mal tourner ; mais avant de m’en rendre compte, je sortais du refuge avec mon nouvel ami à quatre pattes à mes côtés, prêt à commencer notre aventure ensemble. J’ai sauté dans ma voiture, mais j’ai entendu un grand cri de la jeune vendeuse qui nous avait vendu le chien ; son manager l’a suivie. Elle m’explique que le chien spécifique hypoallergénique que j’appelle désormais Lilli avait déjà été réservé par un membre de leur communauté. Mon cœur se serra ; mais ensuite je me suis souvenu de la paperasse, du contrat que nous avions tous les deux signé. J’avais toujours voulu un chien et je ne pouvais en avoir que quelques types à cause de l’allergie de mon père. J’ai montré au responsable les documents et il était écrit « toutes les ventes finales » en bas. Le manager n’a eu aucune réponse et je suis donc parti avec mon nouveau meilleur ami. En adoptant mon mini goldendoodle, j’ai trouvé non seulement un animal de compagnie, mais aussi un ami fidèle et un compagnon chéri, dont la présence continue d’enrichir ma vie d’une manière que je n’aurais jamais imaginé possible.

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Par Justyn Cooke

Par la fenêtre au bout de ma chambre, j’ai vu un sapin de loin. C’était un grand sapin comme dans les tableaux des meilleurs peintres russes, qui remplissait le cadre de la fenêtre ; un sapin tout large et débraillé dont les aiguilles pendantes ressemblaient à celles de la pluie. Je l’ai aperçu lorsque, étant si épuisé de mes études et de mon travail, je m’étais vite levé en me détournant de mon bureau, me retirant de mon livre, et là-dessus je l’ai vu. Je l’avais déjà vu, bien sûr, chaque fois que j’ai regardé par la fenêtre, mais je ne l’avais jamais vu comme tel, si immense et frappant ; et comment est-ce que c’est possible que j’aie ignoré cela ? Que je sois détesté comme des rois de l’antiquité qui chevauchaient dans leurs royaumes sans qu’ils constatent les pauvres dans les rues ou les ouvriers qui faisaient toutes leurs richesses ! Ce pauvre arbre n’a jamais été reconnu, jamais connu, et jamais aimé — j’en suis sûr — non plus.

Écriture créative, printemps 2024 : 3/4

Récit personnel d’un événement historique.

Par Antonio Ferraiolo Costa

J’étais en troisième année du HS lorsque le covid a commencé. Au début, il semblait que quelque chose se passait très loin, dans d’autres pays. Mais très vite, il est devenu clair que cela se rapprochait, et avant que nous nous en rendions compte, notre école a été fermée pour une durée indéterminée.
La transition soudaine vers l’école en ligne a été choquante. C’était surréaliste d’assister à des cours sur un écran d’ordinateur, d’essayer d’absorber des informations tout en étant assis sur mon lit à la maison. Le manque d’interaction sociale avec les amis et les profs rendait la tâche encore plus difficile. Nous ne pouvions plus nous réunir dans les salles de classe, partager des notes ou rire ensemble pendant les pauses. Tout était devenu isolé et l’atmosphère autrefois vibrante de l’école semblait étrangement vide.
Quant au football, c’était une grande partie de ma vie. Je jouais depuis que j’étais enfant et l’idée de ne pas pouvoir entrer sur le terrain avec mes coéquipiers était dévastatrice. Les entraînements et matchs ont été annulés, et la camaraderie que nous partagions pendant les séances d’entraînement a disparu. C’était une pilule difficile à avaler, réalisant que quelque chose que j’aimais tant avait été suspendu indéfiniment.

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Par Avery Patterson

Le matin où j’ai quitté New York, la neige polluait la fenêtre. Je garde les fenêtres ouvertes quand je dors, même en hiver. Des flocons de neige fondaient timidement sous la chaleur attirante des murs jaunes et claustrophobes de ma chambre. Ce matin-là, l’air frais passait à travers la fenêtre et persistait dans mon nez, et brûlant les coins intérieurs de mes yeux. Mes respirations sortaient en nuages de chaleur ivoire. Pour me lever, je pensais à ces nuages et l’air extérieur de ma chambre. J’ai poussé la fenêtre plus haut. Je respirais désespérément, mais malheureusement ces inhalations ne duraient pas longtemps, je devenais froide.
Habituellement, je dois me résigner à respirer la poussière cruelle qui s’accumule dans les coins de mon monde intérieur, mais pas aujourd’hui. Ces derniers jours les coins de mon monde intérieur semblent tristes et stressants. Une mélancolie reste derrière mes yeux, et des vagues de larmes tombent souvent sur mes joues.
Mais ce n’est pas seulement la neige, c’est la présence oppressante de la pandémie qui me rend triste. Confinée chez moi, toute seule, chaque jour est le même. Mes jours sont marqués par une routine monotone et l’incertitude. Les interactions humaines et personnelles sont rares, remplacées par des écrans et des conversations virtuelles qui ne me satisfont jamais. Le confinement me donne l’impression que ma chambre devient plus et plus petite chaque jour. Je quitte New York et ne reviendrai pas. Je crains pour le monde, pour mes amis, pour ma famille.

Écriture créative, printemps 2024 : 2/4


Ecrire plusieurs versions de la même histoire : l’une de manière neutre, les autres sous la contrainte de votre choix.

La version neutre :

Par Justyn Cooke

L’autre jour, j’étais en train de manger un sandwich sur un banc au parc, et puisque des tas de miettes tombaient à mes pieds, plusieurs pigeons sont venus les manger autour de moi. Ils mangeaient bien, et j’étais content de les nourrir un peu. Cependant, bientôt est venu un grand corbeau, plus grand que j’ai jamais vu. Il s’est approché, entré dans la foule de pigeons, et a crié très fort, ce qui a fait peur aux pigeons. Ils s’en sont allés, mais pas trop loin, et j’ai regardé le corbeau, plutôt gêné.
« Qu’est-ce que tu fais là ? » je lui ai dit.
– J’ai libéré les miettes de leur souffrance.

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Choisir un paysage ou un lieu, fréquenté actuellement ou pris en photo, et le décrire le plus précisément possible.

Par Isabel Crawford

La plante ne partage pas son côté de la chambre avec moi. Elle habite entre le lit, la fenêtre, et le radiateur. Ça, c’est son domaine. Elle est comme une forteresse, parfois vivante, parfois tombante. Elle ressemble à une plante ordinaire mais je suis sûre que je manque ses aspects extraordinaires. Elle ne me regarde pas mais toujours, je sens sa présence silencieuse.
La plante est aux facettes multiples. Elle peut voir les plantes qui habitent sur le balcon, dehors, avec le vrai soleil et le vent. Et si cette vue ne lui plaît pas, elle peut voir le dessin des plantes sur le mur en regard qui est plus abstrait. Je me demande si ce dessin des plantes, presque absurde, sur le mur se moque d’elle. La plante est entre deux vies : la première, une vie plus réelle, et la deuxième, moins. Elle pense toujours aux autres facettes.
Sous mon regard, la plante ne bouge pas. Bien sûr, elle est une plante. Mais, à la fin de la journée, quand je jette par hasard un coup d’œil dans sa direction, sa forme a changé. Le feuillage vert reste mais dans un nouvel aménagement. Une variation du même motif chaque jour. Son chef-d’œuvre n’est pas dans son produit mais dans sa production. Peut-être que je ne la regarde pas assez.

Écriture créative, printemps 2024 : 1/4

Raconter un trajet ordinaire que vous connaissez bien. Pour aller au lycée, à l’université, chez un ami, un parent, etc. Soyez le plus précis possible, à chaque étape de ce trajet.

Par Isabel Crawford

Habituellement, je ne regarde pas les fenêtres du métro. Je préfère fixer les yeux aux pieds des étrangers et je laisse les pensées libres parce que, selon moi, il n’y a pas une meilleure occupation pour les temps dans le métro. J’aurais pu lire un livre ou écouter de la musique mais c’est un lieu bizarre, le métro. Les tunnels noirs, l’animation des murs qui passent, une mosaïque des graffitis, des lumières, des panneaux, des trains qui sinuent sans cesse, des multitudes de gens qui passent les uns et les autres regardant sans regarder. Non, c’est mieux d’être immobile, silencieuse, endormie avec les yeux ouverts. Alors un jour, quand je fixais les yeux aux pieds des étrangers et que les pensées voyageaient dans ma tête avec ni raison ni logique ou peut-être trop de raison et trop de logique, j’ai pris conscience du fait que le train ne bougeait pas. Et quand je me suis aperçue que le train ne bougeait pas, les pensées ont cessé ; c’était à ce moment-là que je me suis rendu compte que mes pensées ont eu besoin du mouvement du train comme une lampe a besoin du courant électrique ; sans courant, une lampe ne donne pas de lumière et sans mouvement les pensées ne volent pas. Bien sûr, mes pensées marchent comme elles doivent – elles font les choses nécessaires pour la vie quotidienne – mais c’était le mouvement du train qui a poussé les pensées à l’extérieur de leurs chemins et le mouvement laisse les pensées libres. Avec chaque arrêt et chaque début j’ai vagué du monde réel au monde moins réel où la mémoire, la conscience, et le sens deviennent un mélange.

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Souvenirs d’enfance.

Par Avery Patterson

Si les souvenirs de mon enfance étaient une couleur, ils seraient bleus. Un bleu comme le Pacifique, dépourvu de tristesse, mais semblable à la couleur mélancolique qui apparaît dans les moments qui suivent le coucher du soleil ou au matin, lorsque le soleil se lève pour la première fois. Je pense aux moments où ma perception du monde s’est formée en regardant les yeux de ma sœur et en écoutant ses histoires avant de dormir.
Aujourd’hui, j’aimerais pouvoir m’asseoir avec mes parents dans la cuisine, pour partager un repas et parler. J’ai envie de partager avec eux mes nouvelles expériences et ma nouvelle perception du monde. J’aimerais pouvoir me promener avec eux à Paris et explorer les rues que je commence à connaître. Je sais qu’un jour je le ferai, mais pour l’instant je remercie mon esprit de conserver mes souvenirs bleus. Je pense que lorsque je serai vieille, mes souvenirs de cette période seront orange et joyeux. Une couleur comme le ciel juste avant le coucher du soleil.

Une semaine d’écriture créative

Notre rendez-vous semestriel est de retour ! Découvrez cette semaine les textes des étudiant·e·s ayant participé à l’atelier d’écriture créative du VWPP mené par notre enseignant et tuteur, Alexis Weinberg. Les textes seront postés chaque jour pour une découverte quotidienne ; nous vous laissons en attendant avec l’introduction à ce projet.

Bonne lecture !

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Quelques mots en préambule de la quatrième édition des textes sélectionnés par les participant.e.s à l’atelier d’écriture créative du Vassar-Wesleyan Program in Paris.


Tout d’abord, mes chaleureuses salutations à Antonio, Avery, Isabel et Justyn qui se sont prêté.e.s au jeu tout au long de cet atelier ! Ces textes très personnels en témoignent.


Comme nous en avons maintenant pris l’habitude, deux textes ont été retenus par chacun.e, publiés ici après une phase de retravail portant uniquement sur l’orthographe et la grammaire. Ces textes se présentent ainsi dans une version proche de celle qui a été lue à voix haute pendant l’atelier.


Ce semestre, nous sommes allé.e.s à la Maison de la Poésie écouter l’écrivaine Gabrielle Filteau-Chiba nous parler de son recueil de poèmes La Forêt barbelée. Elle y évoque son expérience de vie dans une cabane de la forêt québécoise et sa prise de conscience écologique. Une belle contribution à l’écopoétique !


A nouveau, un grand merci au consortium et à l’équipe du VWPP, Anne Brancky, Hannah Gersten, Sophie Kolesnikov et Divine Bakumusu.


Alexis Weinberg

Écriture créative : A la manière de… (5/5)

A la manière de Marguerite Duras.

Par Reid Schuncke

 

1

Francis est mort. Il est allongé sur son grand siège inclinable de cuir marron, dans son petit salon. Le papier peint de l’ancien mur s’écaille. Sa télé est allumée. Il était en train de regarder un match de foot. 

Comme d’habitude, Francis porte un t-shirt et son pantalon de survêtement qui doit être lavé. Il y a des traces de sang sur sa bouche et sur ses mains, mais on ne sait pas pourquoi il a saigné. Son visage est gris, ses yeux sont ouverts. On ne peut pas discerner son expression – est-ce qu’il est serein ? Fâché ? De cette perspective, rien n’est clair. 

À côté de Francis, il y a un verre. Il contient une substance collante. On ne peut pas le sentir, mais si vous connaissiez Francis aussi bien que moi, vous sauriez ce qu’il y a dans ce verre. 

On doit tourner le dos à Francis.

 

2

Francis et moi, nous étions jeunes ensemble. Nous avons grandi ensemble. Mais nous ne sommes pas morts ensemble. Viens! Viens avec moi, chérie! C’est Francis, et il a 15 ans. Il était le type de jeune qu’on aime et déteste, les deux. Il était charmant. Il était égoïste. Il était courageux, mais aussi négligent.

Viens! Viens! Et je suis toujours venue. 

Dans la chaise, Francis ressemble à un vieil homme, mais il a seulement 35 ans. Les lignes sur son visage sont intensifiées par la mort. 

Quand nous étions jeunes, il était beau.

 

3

Les empreintes sur son verre sont sanglantes. Il y a d’autres bouteilles qui encerclent Francis, des bouteilles de couleurs et tailles différentes. On remarque qu’il y a aussi du verre brisé. Des petits éclats de verre scintillent autour de l’homme mort, comme des petits diamants. 

Quand on tourne le dos à Francis, le verre est écrasé sous les pieds.


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A la manière de Marcel Proust

Par Lindsey Solo

Comme le dit l’adage : de connaître quelque chose comme le dos de vos mains, c’est d’avoir étudié chaque ligne, chaque courbe, et chaque tache de rousseur, mais je n’aime pas vraiment le dos de mes mains. Néanmoins, je passe le temps à me concentrer sur leur forme et chaque détail que j’aurais appris à détester. 

Vingt ans de curiosité visuelle ont transformé ma familiarité en une aliénation. L’eczéma, des doigts cassés, des bagues ternies, et des poils qui reviennent. J’oublie leur importance capitale quand je me concentre seulement sur leur forme physique. Chaque fois, quand je prends une douche trop chaude, ils risquent d’être brûlés, ils caressent mes chats, communiquant un amour simple (mais néanmoins profond), ils apprennent à écrire les histoires et à tourner les pages des romans, ils réchauffent les autres, prolongent mon corps hors de ses lignes rigides. 

Je ne sais pas quand la familiarité a commencé à impliquer l’engourdissement, peut-être en me regardant dans le miroir je me suis détachée d’une façon nostalgique. J’ai envie de contrôler mes pensées, mais alors c’est futile. Le travail de Simone de Beauvoir a démystifié mes pensées quand elle a écrit : « La femme… sait que quand on la regarde, on ne la distingue pas de son apparence. » Il semble que c’est une partie de l’expérience d’être une femme. Je me concentre toujours sur ce qui est tangible et immuable plutôt que l’inverse. Les couleurs, les lignes et les formes se métamorphosent en quelque chose de flou. J’ai perdu la vue. Dans un effort de réorientation, je baisse les yeux et retourne étudier mes mains. En faisant l’effort de prendre le contrôle de ma vie, mes mains ont décidé de décoller le miroir fixé à mon mur. C’était un acte de rébellion involontaire. 

Alors, il a laissé un cercle de colle sur le mur. C’est peut-être ce qui donne à la nostalgie une connotation pas complètement positive. C’est impossible de combiner toutes les versions différentes de nous-mêmes. Nos vraies identités existent comme des collages de petits et de grands souvenirs, cachées loin dans nos esprits. Notre existence est collective : une collection des moments du passé qui ont encore des impacts aujourd’hui, même avec les choix d’hier. Oublier, oublier, oublier notre réflexion. C’est seulement son ombre.  

Bien sûr, la colle oubliée est le lien entre tout cela. C’est suspendu comme un chef-d’œuvre, mais il ressemble à une tache. Trop transparent à nettoyer, mais avec le temps ces petites taches accumulées forment des nuages de mémoires oubliées – belles et irrésistibles. Des photographies des premières amours, un crayon gras rouge, des posters de Selena Gomez, tous ont laissé leur marque. Il semble que devenir adulte soit synonyme de restaurer les murs blancs banals dans notre chambre qui étaient avant cachés par des petits rappels de souvenirs que nous voulions garder pour toujours. Il semble que grandir comme une femme soit en partie d’oublier notre passé et de retrouver nos essences nues. De reconnaitre que nos conceptions de soi doivent contenir nos qualités abstraites.