Écriture créative (F25 – 2/4)

A la manière de Proust… dans le métro parisien

  • Par Katherine Powell

Il y a de nombreuses fois que je me trouve dans le métro. Il n’est pratiquement pas possible d’éviter ce moyen de voyager, particulièrement comme une étudiante internationale qui n’a pas accès à une voiture, et qui est toujours, il semble, en retard, et donc, espère toujours que le métro bougerait plus rapidement qu’il peut bouger. En étant assise, sur un siège rembourré, dont je me demande souvent ce qui avait trempé dans son coussin, je l’ai attendu avec de la patience, qui se dégrade, mon arrêt, je faisais de mon mieux pour lire, mais mon esprit, parfois une chose imprudente et étrange, était parti ailleurs, mais maintenant les portes du métro se sont ouvertes et des gens sont entrés, le plus notable était une mère avec ses deux enfants, une fille et un fils, très jeune, peut-être juste environ trois ans, et ils ont commencé, comme leur mère était debout et tenait un poteau, à courir autour de ce poteau, encore et encore, ignorant de façon flagrante leur environnement, et ils se heurtaient contre les autres voyageurs, moi-même incluse, et ils avaient continué cette action, cognant souvent contre mes genoux; essayant de leur donner de l’espace, j’ai approché mes genoux, sans succès, parce qu’ils ont continué à se heurter contre mes genoux quand ils sont passés. Leur joie me fait penser à ma propre enfance et la folie et l’imagination qui viennent avec la naïveté du monde et la reconnaissance innée et inconsciente du fait simple de vivre; ce bonheur me manque et je me suis rappelé mon besoin d’incarner cet émerveillement enfantin dans ma propre vie étant plutôt démoralisée par la banalité quotidienne, qui, en soi-même, est assez belle ça veut dire que nous sommes vivants, même si la vie est parfois ennuyeuse et dure dans un monde toujours bizarre et chaotique et trop cruel; au moins, j’ai la capacité d’éprouver cela et les émotions qui viennent avec mes expériences; et alors, quand les enfants étaient partis, je suis restée et j’ai pensé beaucoup, me disant que je me trouve ce regard d’enfance dans ma propre vie, mais pour être honnête, je doute qu’il soit possible l’avoir jamais encore.

  • Par Hannah Tsukamoto

Il y a des moments – celui-ci parmi eux – où, dans un espace public bondé, qu’il s’agisse d’une station de métro, d’un centre commercial, ou d’une intersection très fréquentée, où pas un seul visage autour de moi n’est reconnaissable dans la foule de personnes qui m’entourent, une pensée me vient soudainement à l’esprit : l’image de moi-même en tant que jeune enfant, dont l’esprit, malgré les années qui nous séparent, je reconnais toujours en moi. Dans de tels moments, chaque petite action que je prends devient notable : le coup de ma carte de métro sur le portillon, chaque fois que je franchis le seuil entre le train et le quai de la gare, chaque pas que je fais seule dans cette vaste ville. Toutes ces actions, toute cette liberté qui s’offre à moi, bien qu’elle semble insignifiante, comme une partie de ma vie habituelle, presque oubliée à cause des soucis et du stress quotidiens de la vie, me rappellent que l’enfant que j’étais autrefois aurait considéré cette vie que je mène actuellement comme l’accomplissement de l’un de ses rêves les plus chers. La simple capacité d’aller n’importe où dans une ville, de me perdre dans une foule—je trouve que paradoxalement, lorsque je suis le plus en mesure d’apprécier cette merveille de vie, les préoccupations et obligations triviales éclipsent si souvent ce qui devrait susciter l’émerveillement.

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A la manière de Duras

  • Par Kenji Kono

Christophe est mon père d’accueil. Il a 62 ans et c’est un écrivain et jardinier. Avant, il était vendeur pour Calvin Klein et a travaillé avec un des plus fameux modèles des années quatre-vingt-dix. Il passe ses journées à écrire cinq heures par jour et travaille dans les différents jardins de ses clients autour et en dehors de Paris. Erasme c’est son fils de 24 ans. Il habite à la maison. Il fait des études de cinéma et essaie de promouvoir son nouveau film en même temps.

Je les ai rencontrés au premier déjeuner de mon séjour. Je viens d’envoyer un mail à un autre festival de cinéma, dit Erasme à Christophe. Erasme vient de finir la production de son film et maintenant doit commencer à faire des projections autour de Paris. Le film était un documentaire expérimental sur la Turquie.

Les deux se sont liés par leur amour pour le cinéma. Comme le père est un cinéphile, il lui donne souvent des conseils sur ses films. Cette première introduction était une simple image mais représentative de leur relation.

Écriture créative (F25 – 1/4)

Se présenter par un acrostiche

  • Par Bianca Niyonzima

Nom de Famille
Il y a 4 autres personnes que je connais qui ont le même nom de famille
Y c’est une lettre difficile pour commencer une phrase
Où est l’origine du nom ?
Niyonzima c’est un nom rwandais
Z, aussi c’est une lettre difficile
Il y a deux lettres dans le nom Niyonzima c’est difficile à inclure
Mais, les autres lettres ce n’est pas mal.
Alors, merci pour votre temps ! Bisous, Bianca Niyonzima

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Scènes de la vie parisienne

  • Par Izzy Marcus

Un long flux d’air s’échappe de ses lèvres au même moment où il attrape son manteau ; cela correspond à ses yeux qui percent le plancher de bois qui avait été construit il y a de nombreuses années, comme s’il voulait la réponse pour son échec dans la vieille sagesse dans le sol. Je vois tout cela pendant que je m’assieds à l’autre table ; mon assiette vide reste devant moi mais c’est comme s’il y a un accident de voiture – je veux dire que je ne peux pas aider mais je ne peux pas partir – donc la serveuse m’apporte mon deuxième dessert avec un autre verre de chardonnay, dont je ne veux pas ; elle me dit quelque chose mais je n’entends pas parce que l’homme part finalement, laissant la femme toute seule. Dans ma tête c’était un rendez-vous qui était organisé sur une application de rencontres ; les deux jeunes adultes ne semblaient pas se connaître ; je suppose aussi que ce sont les conditions de plusieurs des premiers rendez-vous mais si j’ai passé ma soirée entière à regarder un événement auquel je n’avais aucune raison de participer, je voudrais trouver une sorte de morale. La femme prit un moment ; peut-être la nuit était le plus difficile pour elle mais c’est difficile aussi de dire pour qui c’était le pire ; l’homme avait payé et si on doit jeter une soirée de temps libre, je suppose qu’il est meilleur de faire cela gratuitement ; encore, elle me semble avoir l’air le plus perdu. Le vin dégoutte à travers ma gorge ; il fait passer le goût de mon dessert indésirable ; rien ne se passe maintenant pendant que la femme regarde à son portable avec une certaine intensité ; je pense qu’elle attend que l’homme s’éloigne avant de partir, mais peut-être elle envoie des textos à ses amis ; elle peut aller avec ses amis pour la fin de la soirée et essaie de s’amuser ce soir, ou pour être ramenée à la maison si elle est venue avec l’espoir qu’elle serait ramenée à la maison par son rendez-vous ce soir. Ses yeux rencontrent les miens, et j’essaie de trouver un visage qui peut offrir la sympathie, mais ils se déplacent rapidement ; son esprit est occupé avec d’autres choses pendant qu’elle commence à partir. Demain, les deux jeunes adultes essayeront d’oublier ce soir, mais moi, qui n’ai pas de raison d’oublier, penserai aux deux pour un peu de temps. C’est peut-être moi qui ai perdu le plus de temps. 

  • Par Libby Surgent

J’ai marché rue de Rome et j’ai tourné à gauche. Le vent était doux dans mes cheveux. Je suis passée devant un lycée, et les élèves fumaient à la porte. Certaines personnes étaient debout, d’autres assises sur le trottoir. Ils étaient pour la plupart vêtus de gris. Je ne connaissais pas leurs visages, je ne connaissais personne dans la rue. Ils m’étaient tous inconnus, mais les bâtiments et les couleurs m’étaient familiers. Je suis arrivée au parc Monceau, les couleurs avaient changé, je n’étais plus dans le monde des gris, le monde des bâtiments et des roues. Le monde des voitures. Ce monde était gris, mais ici c’était vert. J’ai vu des fleurs roses, violettes, jaunes. Des filles et des garçons cachés dans les arbres. Un vieil homme endormi dans l’herbe, plongé dans un rêve, ou dans un sommeil sans couleur. Un bouledogue s’est approché de moi, et j’ai senti sa fourrure rêche. Ses dents étaient grandes et sa gueule semblait tomber de son visage. Le soleil était trop fort, et j’avais chaud dans mon manteau, alors je suis rentrée chez moi.

Présentation des textes de l’atelier d’écriture créative (F25)

Un nouveau semestre touche à sa fin, de nouvelles créations apparaissent comme autant de cadeaux au pied du sapin ! Notre collègue Alexis Weinberg a accompagné six étudiant(e)s dans leurs travaux d’écriture créative. Nous lui laissons la parole pour présenter les œuvres que vous pourrez lire dans les prochains posts.

« Ce semestre à nouveau, six séances de deux heures, des activités d’écriture organisées en six grands « gestes », deux textes retenus par chaque participant.e pour publication.
Une certaine qualité poétique émane des lieux où la nature a bonne part, dans les textes que vous allez lire : le Jardin du Luxembourg, le Bois de Vincennes, le Parc Monceau, mais aussi les quais de Seine, au petit matin ou au coucher du soleil. Si les descriptions, en cet automne parisien, exercent leur charme dans ce recueil, d’autres scènes de la vie parisienne, plus animées, y trouvent aussi leur place, qu’elles aient lieu au café ou dans le métro. C’est parfois à la manière proustienne que leurs échos intérieurs sont déployés. Au détour d’une rue, d’une allée, d’un quai, un moment de vérité survient alors.
A cet égard, nous sommes allés écouter l’écrivaine Alice Renard, à peine plus âgée que nos participant.e.s, lire une partie de son recueil de nouvelles, Peaux vives, à la Maison de la Poésie. C’est à la première personne qu’elle y raconte un moment de transformation intérieure, dans la vie de personnages de tout âge, de toute condition et de toute époque. Peut-être que ce semestre aura été l’occasion d’une telle expérience transformatrice chez nos étudiant.e.s. Certains textes en donnent brillamment l’indice.
Un grand merci à Bianca, Hannah, Izzy, Kate, Kenji et Libby pour leur implication, et, toute ma reconnaissance au VWPP, à son équipe et à Tom pour leur confiance, cette fois encore.
A noter qu’au prochain semestre, l’atelier évoluera pour compter douze séances, les textes publiés y prendront une forme plus ample et continue : à suivre, donc…
»

Alexis Weinberg

Écriture créative S25 (3/3)

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Un événement historique (ici le confinement) raconté au plus près du vécu, en écho à ses lectures de l’époque.

  • Par Maya Yanowitch

Je tombe amoureuse pour la première fois en 2020. C’est parce que j’achète un livre de poésie avant que la librairie ferme pour deux ans. C’est un anthologie de Louise Glück. 400 pages. L’école ferme après la première partie du livre alors j’ai du temps pour lire, pour comprendre mon amant, la poésie. Je vois que la poésie n’est pas juste pour les vieux hommes. Je ne respire pas l’air frais de toute la deuxième partie du livre. Central Park est une morgue en troisième partie et pendant la dernière partie j’ai une piqure dans mon bras et c’est difficile de tourner les pages. J’adore la littérature depuis toujours. J’aime la poésie particulièrement parce qu’elle est fragmentée comme la tête, comme les émotions que les phrases formées ne peuvent pas attraper. Mais je lis ce livre et tous les mots sont des mots que j’aurais souhaité exprimer moi–même, mots qui capturent un morceau de ma tête sans avoir vécu là. Et il est difficile de comprendre cette universalité rhétorique, quand le monde est sur un écran, quand trois millions de morts ne disent rien parce que je n’ai jamais vu trois millions personnes. Pour moi, ce livre, cette poésie est une forme de connexion dans une vie déconnectée. C’est la première fois que je découvre une phrase ou le cerveau d’un autre. En vérité, je ne connais pas Louise Glück. Je n’ai pas besoin de connaître Louise Glück. Je trouve que dans la poésie les mots abandonnent leur créatrice et prennent un corps vivant, respirant. C’est une idée controversée mais je crois que l’écriture est un acte de donner, pas de montrer puis reprendre. Il y a un élément contagieux dans l’écriture, ironiquement. 

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Texte écrit en classe sous contrainte de mots imposés (choisis par les participant.e.s)

  • Par Julia Fedoruk

Will et moi sommes arrivés fatigués au jardin de Versailles. Les rayons du soleil chaud piquaient nos dos comme des ananas dans la bouche. Soudainement, nous avons vu un paradis apparaître devant nous. Des tunnels d’arbres qui s’arquaient les uns vers les autres, créant des passages secrets, un labyrinthe d’ombre. Nous nous sommes précipités, presque sautant vers l’abri du soleil, comme les rats ont dû faire à la fin de l’âge des dinosaures. L’ombre collante nous a soudainement entourés et nous nous sommes sentis transportés au siècle du roi Louis XIV. Nous imaginions la jeune reine Marie-Thérèse en train de marcher dans ses passages, chuchotant des secrets de cours avec sa belle-mère et mentor Anne d’Autriche pendant que sa fille Anne-Élisabeth s’accroupissait au bord des arbres pour chercher sa poupée qui était tombée par terre. Toutes sortes d’hommes et de femmes de la cour, dans leurs grands vêtements étouffants, couverts de bijoux précieux, rubis, turquoise, ambre, ont dû chercher l’abri et l’intimité dans cet abri avec un sentiment un peu magique. Nous avons erré pendant longtemps, tous les deux perdus dans nos pensées.

Écriture créative S25 (2/3)

Texte inspiré par l’incipit…

….d’A la recherche du temps perdu

  • Par Julia Fedoruk

J’ai les vendredis après-midi libres, mais ça ne veut pas dire que je peux en faire ce que je veux – c’était une leçon que j’ai apprise un vendredi il y a plusieurs mois. J’étais seule dans un brouillard interne, le monde de mes pensées limité par des nuages gris statiques, essayant avec une force de moins en moins présente de guider mes yeux vers la ville de Paris sous moi. Je montais sur un escalator dans une tube comme les tubes qu’on met dans les habitations de hamster – on dit que ces tubes ne sont pas vraiment bien pour la santé des hamsters ; au lieu de trouver un peu d’exercice, ils courent jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus, amenés par l’anxiété. Je pensais peut-être que j’étais capable de courir comme cela sans arrêter, que c’était attendu par une force plus grande que moi ; je ne sais pas comment l’appeler, peut-être le désir, l’espoir, sinon la peur, l’ambition. Je suis arrivée à l’étage. À la fin de mes forces, je courais encore, ou bien, je continuais de rester debout, je suis sortie, j’ai fait la queue, on m’a demandé de mettre mon sac à dos dans le vestiaire, j’ai trouvé le vestiaire, j’ai mis mon sac dedans, j’ai écrit le code dans mon cahier, j’ai trouvé la première galerie, j’ai essayé de faire marcher le guide IA, cela n’a pas marché, et maintenant j’étais là, debout, essayant de focaliser mes yeux sur un placard avec le texte petit, trop petit, en français. Les mots se croisaient comme une pelote de laine nouée au point d’être inutilisable, je n’arrivais pas d’atteindre un niveau de compréhension le plus simple avec une langue normalement familière ; je me suis sentie flottant de plus en plus haut, bienvenue dans les nuages de mon monde interne, ma conscience s’est mise à se reposer doucement derrière mes yeux, tout à coup mes jambes sont devenues légères, comme si quelqu’un d’autre marchait dans mon corps, et j’ai flotté de galerie en galerie, toutes les couleurs, toutes les textures se mélangeant sans ordre.

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Une promenade à Paris 

  • Par Amelia Larson

Les Sentiments d’un Portable Perdu

J’ai perdu mon portable. Je marche. J’adresse un geste à la main à l’accueil. Je quitte l’université. Je marche. J’ai perdu mon iphone. J’ai perdu mes Airpods. Je marche. Je regarde la rue, le béton. Je ne regarde pas mon portable. J’ai l’envie de bousculer ma propre tête dans les toilettes. 

Je marche. Je regarde. J’écris. Dans mon cahier rouge avec mon gros stylo. 

Les gens autour de moi portent des sandales (des slides, en particulier). Une femme, en sandales, a des tatouages qui entourent son pied, ses doigts de pied. Même ses ongles de doigts de pied sont tatoués. 

Je sors du métro. Je ne me baigne pas la tête dans les toilettes. J’inspire profondément. Une femme, qui marche dans l’autre sens, laisse échapper un cri. Non, pas un cri. Elle pleure. Non, elle fait semblant de pleurer. Des larmes fortes et fausses. Je compatis. Je ne pleure pas. Je marche. Je ne crie pas. J’écris. 

Le mec devant moi porte un oreiller sur le cou. Il est tropical, turquoise avec des frondes d’un palmier. Un bébé nous dépasse sur une trottinette. Puis un adulte. Une armée d’adultes sur trottinettes. 

Un homme passe sur un vélo, le siège du bébé vide en arrière. Derrière lui, il y a un enfant dans une cage arrière d’un autre vélo. Il garde ses genoux sous des rampes. Un bébé passe dans sa poussette. Un grand enfant s’assied sur la batterie du vélo électrique d’une femme. 

Il y a plusieurs lesbiennes au bar lesbien. C’est normal pour un bar lesbien, mais pas pour un bar. Il n’y a pas de bébés lesbiens aujourd’hui.

Quelqu’un marche et écrit en même temps. Son stylo est comiquement gros et jaune, comme dans un dessin. C’est moi.

Sur le sac à poubelles d’un resto chinois, il y a un dessin d’un sac à poubelles qui me fait le symbole de la paix. Les léopards sur les murs regardent les poubelles d’un air affamé. La paix sera jetée.

Un homme me dépasse avec un portable dans chaque main. Donne-les-moi ! Il dit non. Qu’un seul, peut-être ! Non encore.

“Natures Wailing” gémit le t-shirt du prochain mec. Les oiseaux ne chantent pas à 18h. Ils ne chantent qu’au lever du soleil quand je prends le premier métro. 

Je sens un barbecue dans l’air. Je voudrais deux portables et un barbecue. Les léopards me regardent. Ils veulent aussi un barbecue. 

Écriture créative S25 (1/3)

Récit inspiré du séjour parisien

  • Par Maya Yanowitch

Mon premier jour, ma première heure à Paris, j’ai vu une chèvre dans la rue. La chèvre était en dehors d’une fromagerie alors naturellement je pensais que les chèvres dans la rue, comme les fromageries étaient un phénomène pas existant à New York, mais normal à Paris. Quand j’ai découvert qu’il n’y avait pas normalement des chèvres à Paris, c’était triste pour moi. La chèvre, comme tous les animaux, les enfants, les adultes que je vois à Paris se comportait très bien. Paris est New York enveloppée avec précaution, lacée avec des métros propres, de la haute couture, pliée avec l’histoire, de la culture, et des vieilles fenêtres. New York est chaotique, bruyant animé melangé avec une vitesse qui en fait une ville qu’on ne peut pas dupliquer, quelque chose qui semble fait par accident, un produit impossible à reproduire. Si j’étais une chèvre dans le onzième, je crois que j’aurais eu une manière plus new yorkaise, plus rebelle que cette chèvre douce. C’est vrai, malheureusement que je n’ai plus vu de chèvre après ce moment. Mais je n’ai pas vu de Taco Bell, ni de métros coincés, ni d’enfants en train de pleurer, ni de chiens en train de crier, d’adultes en train de parler fort, ni de personnes dans leurs pyjamas. Alors j’attends patiemment une autre chèvre sur la rue Oberkampf. Parce que Paris n’est pas New York où les chèvres sont des animaux mythiques, parce que je n’ai jamais vu une chèvre sur Broadway. 

C’est une chèvre en face de moi. Une chèvre à Paris, une étrangère comme moi, je suppose. C’est une chèvre et une fromagerie et je crois que je ne suis plus à New York maintenant parce que je n’ai jamais vu une chèvre et un métro en même temps, ni une fromagerie dans ma vie. C’est une étrangère comme moi, cette chèvre, non, c’est une chèvre française, une chèvre qui reste tranquille, reste dans la rue comme si elle était une partie de la rue, une partie de Paris, pas comme moi. Moi je ne reste nulle part depuis trop longtemps. Je suis de New York, je ne dors jamais, toujours en train de bouger. Je le devine parce que je suis à Paris maintenant avec une fromagerie et une chèvre, avec des inconnues et une valise dans mes mains et de la fatigue dans mes yeux. La chèvre, comme Paris, reste debout, sans sourire, sans porter de vêtements bizarres comme à New York (pourquoi nous sommes toujours habillés comme ça, je ne sais pas), la chèvre est plus parisienne que moi. Et moi je suis debout dans ma rue, pas encore ma rue, mais ce qui deviendra ma rue et je vois la chèvre et je pense qu’elle est plus parisienne que moi, et je suis jalouse. Quand je pense à Paris, quand je pense à cette version de New York lacée fermement, ce New York qui résiste à l’existence chaotique, ce New York plus vieux. Je pense à la chèvre parisienne, l’autre étrangère que j’ai remplacée. Maintenant, oui, à ce moment, j’attends patiemment une autre chèvre sur la rue Oberkampf. Je n’ai jamais vu une chèvre sur Broadway. 

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Texte inspiré par l’incipit…

…du Ravissement de Lol V. Stein

  • Par Amelia Larson

C’est Moi, la Princesse

Je ne suis pas seule. Il y a plein de monde dans la salle, même Ali à côté de moi et des gens qui attendent devant la porte. Je suis dans ma tête. Les mots qui viennent de ma bouche ne sont pas à moi. Ils sont d’une Française timide et féminine. Mes paumes glissent. J’essaie de les sécher sur ma robe. 

Qu’elle est belle, cette robe ! Sa jupe tournoie comme une vague de soie, comme le tutu d’une princesse enfant. C’était le plus grand achat de vêtements que j’ai jamais fait avec mon propre argent. Cent dollars pour une robe des années 40s/50s dans un magasin vintage à Nashville où je suis passée par hasard en partant de la ville. Encore plus chère après que je l’ai apportée au tailleur sur la rue de la Jonquière. Je ne l’ai jamais portée toute une journée. 

Les mains se présentent à moi. J’inspire en regardant l’âge reflété dans le visage de mon nouveau partenaire et choisissant entre “Salut !” et “Bonsoir !”. 

Au centre, Camille porte une robe jaune clair, assez légère pour faire de bons tours. C’est novembre, mais la salle anticipe la quai Saint-Bernard au printemps. Nous tournons vers elle qui explique nos prochains pas. 

La musique commence. “Ex’s and Oh’s” d’Elle King. J’expire. Je rigole. Je suis encore moi-même dans ma tête. Je fais un petit sourire à mon partenaire. Il sent les clopes rassises. Il porte que du noir. Ses cheveux se plaquent en arrière. Il sourit largement.  

–J’ai voulu danser avec la fille à la belle robe. 

Il saisit ma main. Je rougis. Nous tourbillonnons ensemble.

Mon prochain partenaire, la femme en jeans rapiécés. Elle vient chaque semaine avec son sourire maladroit et la robe rouge dans laquelle elle se change pour la période de danse libre. J’apprécie une femme qui fait les deux parties de cette danse de rock qui est trop genrée. 

Moi, je reste follow. Je trébuche.

Je ne suis pas la fémininité française. J’ai surpris Élise, la vraie femme française, avec la déclaration que le rock est genré. Je veux danser du rythme sans règles. Mais surtout, je veux que mon tutu de princesse se déploie devant moi. 

Je fais des bêtises avec Ali. On danse ensemble en échangeant entre lead et follow complètement au hasard. J’attends son prochain pas. Nos bras deviennent le bazar. L’homme en noir demande encore une danse libre. J’accepte. Je bouche mon nez. 

Au bout du compte, je me fais tourner sans partenaire. Ma jupe remonte presque aux hanches. Je regarde les motifs de la dentelle pervenche qui s’emmêlent autour de moi. 

Introduction à l’atelier d’écriture créative (S25)

Nous avons le plaisir de vous partager les textes produits durant l’atelier d’écriture créative ce semestre. Ce week-end et le prochain, venez, revenez lire les créations de Julia, Amelia et Maya… Créations présentées par leur enseignant, Alexis Weinberg. 

« Une nouvelle session de l’atelier d’écriture créative, une nouvelle dynamique de groupe, pour ces six séances de deux heures organisées autour de six « gestes » tournés vers l’écriture : jouer, imiter, voir, écouter, se souvenir, fictionner.
Ce semestre, nous sommes allé.e.s à la Maison de la poésie à la rencontre d’Anne Serre et de Marianne Denicourt qui ont lu des extraits d’Au secours, que les éditions Champ Vallon ont eu la bonne idée de rééditer. Le Monde évoquait lors de la publication en 1998 un
« époustouflant exercice de style ». L’éloge est-il excessif, appliqué à certaines des
propositions qui suivent, manifestant déjà de fortes personnalités littéraires ?
Merci à Amelia Larson, à Julia Fedoruk et à Maya Yanowitch pour leur implication, ainsi
qu’au VWPP dirigé cette année par Jeff Rider pour son amicale confiance.
Vous croiserez bientôt une chèvre rue Oberkampf, des léopards sur un mur, une femme qui pleure ou fait semblant à la sortie du métro, vous errerez dans un Paris de rêve, vous perdrez votre portable, vous irez jusqu’à Versailles surprendre la jeune reine Marie-Thérèse.
Ce ne sera pas de tout repos, mais cela vaudra le détour. Bonne lecture ! »

Alexis Weinberg

Textes de l’atelier d’écriture créative (3/3)

L’élection de 2016, point de vue subjectif de l’adolescent

  • Par Teoman Soydan

Trump et Begum

Je marche dans la cuisine et mes parents sont en pleine discussion sur celui qui a gagné. Je me souviens d’avoir parlé de cela, il y a 2 ou 3 jours, avec mon amie. Cependant, on n’est pas simplement des ami.e.s mais des concurrent.e.s. Moi, en plus, je ne suis pas très très doué pour lui parler. Mais, je ne suis doué pour parler à personne, honnêtement.

Un jour, on déjeune ensemble comme on le fait tous les jours, dans le sous-sol du collège où on mettait les élèves qui apportent leur repas de leur maison. Je lui demande sa pierre préférée parce qu’il y a 1-2 semaines qu’elle m’en a parlé. “Teo, tu es nul en bavardage, tu sais ?” Elle me quitte. Mais je le sais quand même. Que je ne suis pas comme mon frère charismatique et brillant qui sait toujours quoi dire. J’aimerais lui ressembler. Non, je voudrais sortir avec une fille, comme lui. Je lui ai mentionné cette idée il y a un an mais il a rigolé.

Donc ce matin où je me suis mis sur ma chaise, prêt à manger mon omelette avec des noix qui allaient me donner de l’intelligence pour l’examen dans deux semaines mais qui font aussi gonfler les joues, je réfléchis aux moyens par lesquels je vais parler à mon amie. Je sais qu’elle va s’y intéresser parce qu’elle est obsédée par Keeping Up with the Kardashians. Donc quand je suis dans la salle de classe parmi les corps, les lumières brillant comme dans les asiles et les fenêtres si fermées que l’air ne pourrait jamais sortir ou entrer, j’y suis préparé.

Mais on n’a pas l’occasion de se parler jusqu’au déjeuner. Je mange mon sandwich graisseux, mes doigts si humides que l’huile entre et voyage dans mon corps, alors qu’elle mange ses lentilles tranquillement. J’ai peur d’elle : “T’as vu les nouvelles sur Trump ?”

“Oui, c’est terrible, mais pas un problème pour nous quand même.”

Le silence jusqu’à ce qu’on commence à parler des problèmes qu’on a résolus hier. Sa réponse ne prend que trois secondes. J’ai des choses à lui dire après avoir réalisé que celui que je cherche, ce n’est pas spécifiquement une fille comme mon frère, mais un garçon. Je veux qu’elle me pose des questions spécifiques sur ce que je ressens. Mais elle n’a aucune idée. Personne n’en a. J’y réfléchis alors qu’elle me révèle le dernier épisode de Keeping Up with the Kardashians mais je m’en fous. Donc, je finis mon sandwich huileux pour passer aux problèmes satisfaisants qui me donnent l’impression que je vaux quelque chose, la seule chose que je cherche dans la vie.

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A l’écoute du réel : écriture poétique en classe

  • Par Dash Merrill

Je ne peux pas voir sans mes lunettes

Mes lunettes ne peuvent pas exister sans moi

Alors, pourquoi changent-elles la pluie en larmes ?

Les nuages en fumée ?

Les fleuves en rapides ?

L’histoire de ma vie est écrite par les lunettes qui me trompent

Chaque matin je les porte

Dans l’espoir de les laisser tomber sur le trottoir

Et, moi-même, de tomber dans l’inconnu

 

Textes de l’atelier d’écriture créative (2/3)

Une brève histoire inspirée du séjour parisien

  • Par Noah Robie

Le jeune homme marcha dans le jardin à la recherche d’une phrase musicale qu’il entendit plusieurs pas plus loin. Il passa devant les gens assis sur les bancs, lisant seul ou discutant silencieusement avec leurs compagnes, sous la charmille de tilleuls. Il tenait les barreaux de la barrière rouillée et se repaissait de l’origine de la musique — d’un harpiste et de son immense instrument — juste en face, sous l’arche d’une arcade d’un bâtiment en briques roses avec un chaînage en crème. Le harpiste jouait un morceau qui exigeait toute sa force, ses bras et doigts à la fois pinçant les cordes comme on brise le cou pulpeux d’un pigeon qui gèle sur une branche d’un chêne et comme on caresse le bas mou du lobe d’une oreille. Tout cela, l’homme l’observa attentivement. Le tempo des feuilles qui tombent. 

Tout à coup, le jeune homme entendit le craquèlement de l’allée du gravier derrière lui. Il se tourna et vit un garçon sur un tricycle aussi rouge que son teint, refusant de suivre sa mère. Le jeune homme le regarda fixement sans rien dire. Le garçon scruta l’homme, en disant enfin quelque chose de profondément appuyé mais entièrement inintelligible. Ils partagèrent un silence. On ne pouvait entendre que les éclats de cils des interlocuteurs ou les chaussettes noires qui tombaient doucement plus bas sur la cheville. Décidant de recommencer, l’homme dit « Bonjour. Ça va ? » 

Le garçon continua à regarder attentivement l’homme, grimaçant. « Non », lui répond-il avec force. 

— Pourquoi ? » interpella l’homme. Il le regarda et attendit une réponse. Mais le garçon ne dit rien, ses iris étincelant. Et dans leur périphérie, car les deux ne voulaient pas casser leur regard pénétrant et interrogatif, les deux virent la mère du garçon s’approcher.  

— Maman ! » cria-t-il enfin, pédalant vers elle. « Le mec m’a demandé “pourquoi” ! » 

Il disparut, s’en allant en roulant derrière sa mère, comme la disparition lente et insistante des vibrations de cordes, pincées dans l’air. 

L’homme recommença à écouter.

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« Logo-rallye », exercice d’écriture avec termes imposés (fait en classe)

  • Par Teoman Soydan

Les pommes de terre et les sauterelles

Elles sont déjà là. On les a amenées de Versailles, pas à pas, quelque chose auquel elles ne s’attendaient pas. Leur maquillage coule tranquillement avec leurs larmes précieuses. L’ère des pommes de terre finissant, les sauterelles les retiennent par les bras, les mettant sur l’échafaud pour la cannibalisation de celles avec une vie modeste et pauvre alors que la leur était ostentatoire et riche. Leurs perruques pas aussi merveilleusement coiffées sont par terre et leurs vêtements sont en morceaux. Elles se sentent totalement impuissantes quand les sauterelles révolutionnaires préparent tous les éplucheurs. Le public commence donc à chuchoter. Mais aucune sauterelle ne va cligner des yeux, personne ne va agir quand on commencera à éplucher leurs peaux petit à petit, vu leur présence égoïste et insupportable n’étant plus acceptable sur la place de la Concorde.

 

 

 

Textes de l’atelier d’écriture créative (1/3)

Promenade parisienne, aux accents surréalistes.

  • Par Dash Merrill

Les bâtiments de Paris nagent et tournoient, tous ensemble, tous différents. Leur propres couleurs brillent pendant que la ville devient la rue, et la rue devient les façades, et les façades deviennent les fenêtres qui cachent les histoires des gens à l’intérieur. Les portes grandes et petites : la bouche, les fenêtres : les yeux, les briques : la peau. Ils se parlent, jours et nuits, discutant des histoires que personne ne connait. Ils ont vu les événements de la ville avant que toutes les personnes qui y vivent soient nées. Ils vont voir le monde après que le ciel rougit et les plantes reprennent encore la terre. 

Pendant ma promenade à travers le quartier, j’entends des petits morceaux de leurs conversations. Un vieux bâtiment fait la morale au bâtiment moderne. Les grandes fenêtres nombreuses aveuglent le plus âgé avec du soleil. Un petit bâtiment se cache à l’arrière de son mur, avec les yeux qui jettent un coup d’œil dans la rue. Des jumeaux se disputent côte à côte. J’arrive à mon bâtiment, une veille femme qui a trop fumé pendant sa vie, mais qui ne regrette rien. Elle ouvre sa bouche qui est la porte et j’entre, descendant la gorge. 

Regardant à travers ses yeux, je vois les lampes de rue allumées. Dès ce moment, les sommets se transforment en méduses. Les bâtiments rient, c’est leur partie favorite de la nuit. Les méduses dansent et ondulent, éclairant le graffiti délavé dans les murs des bâtiments rebelles. Je vois des déchets sur le terrain, fondant lentement dans la terre. Les méduses rebondissent sur l’équipement de construction, les machines avec autant de bras qu’une araignée. Une des méduses renverse un sac de saletés que quelqu’un a laissé au milieu de la rue. 

Dans ma chambre, je regarde mon lit. Je me vois moi-même, endormi, les yeux fermés, respirant doucement. Qu’est-ce qui se passe dans ma tête ? je me demande. 

  • Par Teoman Soydan

D’Enfer-Rochereau

Il attend déjà sur le quai une fois que j’y arrive. Je le remarque immédiatement, son air bizarre et différent, il s’y balade comme s’il n’a nulle part où aller. Je passe derrière lui pour aller loin mais je le vois me suivre jusqu’à ce que nous soyons dedans. J’ai l’impression qu’il me regarde. Je ne le regarde pas mais je sens ses yeux sur moi. Mes yeux échappant aux siens commencent à compter les arrêts : 1, 2, 3, 4 … Il regarde ce que je regarde. J’essaie de regarder son visage sans attirer son attention mais il arrive à découvrir mes yeux avec les siens. Il les explore avec un sourire mais sans aucune expression dans ses yeux. Dans les courtes secondes où je le regarde, j’aperçois qu’il a de grands yeux pour la taille de son crâne et qu’il me connaît, mais qu’il n’a pas d’âme. Je descends avant d’arriver à mon arrêt.

Je m’assois sur un siège, ressentant l’air lourd dans mes poumons, des lampes clignotantes et chantantes comme dans une morgue. Mon corps digère mollement les lentilles du déjeuner. Je regarde les gens aller et venir, un voyeur banni, comme si quelqu’un allait m’arrêter. Je n’appartiens pas à ici mais personne n’y appartient parce qu’on ne reste pas dans les stations de métro. On ne les utilise que pour aller et venir.

Quand je lève mon regard, je vois des squelettes habillés, leurs crânes dans les écrans. Un casque couvre les oreilles de chacun. La ligne est interrompue entre Raspail et Glacière, mes deux mondes, avec moi au milieu. Mais personne ne bouge.

Donc il réapparaît mais, cette fois, il devine que je viendrai avec lui. Il me regarde avec le même sourire sans aucune expression dans ses yeux. Donc je me lève et je le suis dans les tunnels. On marche dans le noir jusqu’à la fin du passage.

Je me pousse sur le quai quand on quitte le tunnel mais je ne vois personne quand je regarde derrière moi. Donc je prends mon casque, le mettant sur les oreilles, je marche vers l’appartement ; comme si rien ne s’était passé, comme si rien ne se passe.