Écriture créative S25 (2/3)

Texte inspiré par l’incipit…

….d’A la recherche du temps perdu

  • Par Julia Fedoruk

J’ai les vendredis après-midi libres, mais ça ne veut pas dire que je peux en faire ce que je veux – c’était une leçon que j’ai apprise un vendredi il y a plusieurs mois. J’étais seule dans un brouillard interne, le monde de mes pensées limité par des nuages gris statiques, essayant avec une force de moins en moins présente de guider mes yeux vers la ville de Paris sous moi. Je montais sur un escalator dans une tube comme les tubes qu’on met dans les habitations de hamster – on dit que ces tubes ne sont pas vraiment bien pour la santé des hamsters ; au lieu de trouver un peu d’exercice, ils courent jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus, amenés par l’anxiété. Je pensais peut-être que j’étais capable de courir comme cela sans arrêter, que c’était attendu par une force plus grande que moi ; je ne sais pas comment l’appeler, peut-être le désir, l’espoir, sinon la peur, l’ambition. Je suis arrivée à l’étage. À la fin de mes forces, je courais encore, ou bien, je continuais de rester debout, je suis sortie, j’ai fait la queue, on m’a demandé de mettre mon sac à dos dans le vestiaire, j’ai trouvé le vestiaire, j’ai mis mon sac dedans, j’ai écrit le code dans mon cahier, j’ai trouvé la première galerie, j’ai essayé de faire marcher le guide IA, cela n’a pas marché, et maintenant j’étais là, debout, essayant de focaliser mes yeux sur un placard avec le texte petit, trop petit, en français. Les mots se croisaient comme une pelote de laine nouée au point d’être inutilisable, je n’arrivais pas d’atteindre un niveau de compréhension le plus simple avec une langue normalement familière ; je me suis sentie flottant de plus en plus haut, bienvenue dans les nuages de mon monde interne, ma conscience s’est mise à se reposer doucement derrière mes yeux, tout à coup mes jambes sont devenues légères, comme si quelqu’un d’autre marchait dans mon corps, et j’ai flotté de galerie en galerie, toutes les couleurs, toutes les textures se mélangeant sans ordre.

______________________________________

Une promenade à Paris 

  • Par Amelia Larson

Les Sentiments d’un Portable Perdu

J’ai perdu mon portable. Je marche. J’adresse un geste à la main à l’accueil. Je quitte l’université. Je marche. J’ai perdu mon iphone. J’ai perdu mes Airpods. Je marche. Je regarde la rue, le béton. Je ne regarde pas mon portable. J’ai l’envie de bousculer ma propre tête dans les toilettes. 

Je marche. Je regarde. J’écris. Dans mon cahier rouge avec mon gros stylo. 

Les gens autour de moi portent des sandales (des slides, en particulier). Une femme, en sandales, a des tatouages qui entourent son pied, ses doigts de pied. Même ses ongles de doigts de pied sont tatoués. 

Je sors du métro. Je ne me baigne pas la tête dans les toilettes. J’inspire profondément. Une femme, qui marche dans l’autre sens, laisse échapper un cri. Non, pas un cri. Elle pleure. Non, elle fait semblant de pleurer. Des larmes fortes et fausses. Je compatis. Je ne pleure pas. Je marche. Je ne crie pas. J’écris. 

Le mec devant moi porte un oreiller sur le cou. Il est tropical, turquoise avec des frondes d’un palmier. Un bébé nous dépasse sur une trottinette. Puis un adulte. Une armée d’adultes sur trottinettes. 

Un homme passe sur un vélo, le siège du bébé vide en arrière. Derrière lui, il y a un enfant dans une cage arrière d’un autre vélo. Il garde ses genoux sous des rampes. Un bébé passe dans sa poussette. Un grand enfant s’assied sur la batterie du vélo électrique d’une femme. 

Il y a plusieurs lesbiennes au bar lesbien. C’est normal pour un bar lesbien, mais pas pour un bar. Il n’y a pas de bébés lesbiens aujourd’hui.

Quelqu’un marche et écrit en même temps. Son stylo est comiquement gros et jaune, comme dans un dessin. C’est moi.

Sur le sac à poubelles d’un resto chinois, il y a un dessin d’un sac à poubelles qui me fait le symbole de la paix. Les léopards sur les murs regardent les poubelles d’un air affamé. La paix sera jetée.

Un homme me dépasse avec un portable dans chaque main. Donne-les-moi ! Il dit non. Qu’un seul, peut-être ! Non encore.

“Natures Wailing” gémit le t-shirt du prochain mec. Les oiseaux ne chantent pas à 18h. Ils ne chantent qu’au lever du soleil quand je prends le premier métro. 

Je sens un barbecue dans l’air. Je voudrais deux portables et un barbecue. Les léopards me regardent. Ils veulent aussi un barbecue.